« Des familles sur le fil ? Comment la migration post-coloniale (re)configure l’économie des affects et des relations dans des familles malo-françaises (1980-2023) »

Résumé de la thèse :

Depuis leur installation en France dans les années 1980, les familles « maliennes » représentent une catégorie négative du discours médiatico-politique. Elles sont montrées du doigt comme dysfonctionnelles, autrices de violences sexistes et sexuelles sur les filles et les femmes (excision, « mariage forcé », polygamie) et coupables des errements des fils (échec scolaire, fugue, délinquance). Dans le même temps, dans les villages maliens d’origine, les émigré·es qui ont fait le choix de fonder leur famille en France sont alerté·es sur le risque de fabriquer des « enfants perdus », en éloignant les enfants du giron familial malien. En France comme au Mali, ces familles pionnières de l’émigration familiale sahélienne inquiètent, et les pratiques éducatives parentales attirent le soupçon de l’anomalie et de l’anomie. Par-delà les scénarios catastrophistes, les clichés et les fantasmes, qu’en est-il de la vie de ces familles depuis les années 1980 ? Comment ont-elles fait leur place dans la société française et négocié leur absence de la société malienne ? Comment ont-elles lutté contre le déclassement social et symbolique « ici » (en France) et « là-bas » (au Mali), et œuvré à leur reclassement dans ces deux espaces ? Comment les liens familiaux se sont-ils (re)composés au fil des années et des parcours biographiques des un·es et des autres ?
Ce sont ces questionnements sociologiques qu’explore la thèse, à l’appui d’une enquête ethnographique menée en Seine-Saint-Denis (93) auprès de dix familles d’immigré·es malien·nes appartenant aux classes populaires urbaines françaises. Présentant une sociographie de l’économie des affects et des relations familiales sur le temps long (40 ans), ce travail discute et prolonge la thèse sayadienne des « enfants illégitimes ». Menée auprès d’enfants adultes, l’enquête montre que ces derniers, loin d’être des enfants illégitimes, sont devenus des héritiers des capitaux culturels et économiques de leurs parents, autour desquels la cause commune familiale s’organise désormais. Parallèlement, en étudiant le travail parental et de parenté en migration, ses achoppements et ses recompositions dans le temps, la thèse propose une lecture articulant les différents rapports sociaux (classe, genre, race, âge) dans lesquels les familles sont prises et qu’elles produisent en leur sein, à différents moments de leurs biographies. Elle défend l’idée que l’apparition de tensions inter et intragénérationnelles, particulièrement vives dans les années 2000 (moment de l’entrée dans la vie adulte des enfants les plus âgés et de l’adolescence de leurs cadet·tes) relève plus de l’histoire (post)coloniale que d’une impossibilité intrinsèque à faire famille ou à dépasser les intérêts antagonistes des classes d’âge.