Le vendredi 23 novembre 2018, 14h00, à la MSHS de Poitiers (salle Mélusine), Fabienne MONTMASSON MICHEL soutiendra sa thèse intitulée : Enfances du langage et langages de l’enfance. Socialisation plurielle et différenciation sociale de la petite enfance scolarisée.

Composition du jury :

Stéphane BONNÉRY. Professeur en sciences de l’éducation, université Paris 8 Saint-Denis. Rapporteur

Sylvia FAURE. Professeure de sociologie, université Lyon 2. Rapporteure

Sandrine GARCIA. Professeure en sciences de l’éducation, université de Bourgogne. Examinatrice

Wilfried LIGNIER. Chargé de recherches en sociologie habilité à diriger les recherches, CNRS. Examinateur

Mathias MILLET. Professeur de sociologie, université François Rabelais Tours. Directeur

Gilles MOREAU. Professeur de sociologie, université de Poitiers. Directeur

Résumé :

ENFANCES DU LANGAGE ET LANGAGES DE L’ENFANCE. Socialisation plurielle et différenciation sociale de la petite enfance scolarisée

À la fin du XXe siècle, l’école maternelle française est devenue l’école du langage pour toute une tranche d’âge – la petite enfance scolaire – afin de réduire les inégalités scolaires devant l’école. Or le langage, tout comme l’enfance, ne sont pas uniques et uniformes car ils sont socialement variables. La thèse interroge le primat du langage à l’école maternelle d’un double point de vue. Comment des enfances socialement différenciées sont-elles saisies par la norme du langage scolaire, un langage inscrit dans la culture écrite ? Quels sont les langages de l’enfance et quels rapports entretiennent-ils ? En prenant pour objet les primes socialisations langagières, la thèse étudie la socialisation plurielle et la différenciation sociale de la petite enfance scolarisée.

L’analyse sociohistorique montre que le primat du langage à l’école maternelle vient d’une attention sociale au jeune enfant. Après s’être portée sur son corps fragile, elle a investi ses productions symboliques, révélées par une « science de l’enfant » ethnocentrique. Progressivement, le jeune enfant devient un « objet culturel ». Au XIXe siècle, ce processus se situe dans les fractions instruites et dominantes de la bourgeoisie et de l’aristocratie, et les femmes de ces milieux investissent la petite enfance. Une première pédagogie du langage s’invente, au moins idéalement, dans l’école maternelle de la IIIe République qui voulait former un citoyen raisonnable. Mais c’est dans la deuxième moitié du XXe siècle que le langage devient une question scolaire, quand le problème social de l’« échec scolaire » surgit avec la massification. Un champ d’intervention professionnelle se constitue et impose des contenus et des pratiques légitimes. Entrepreneur de la littératie précoce, il véhicule les normes pédagogiques et les attentes de la bourgeoisie cultivée autour d’un « client idéal » : une définition élitiste du jeune enfant, qui présuppose son autonomie politique et cognitive.

L’enquête ethnographique décrit des primes socialisations plurielles à la rencontre de plusieurs instances et leurs produits socialement différenciés : l’acculturation scolaire, la socialisation entre pairs, les socialisations familiales, la culture matérielle et symbolique de l’enfance (i. e. culture ludique et fictionnelle, culture graphique, alphabétique et lectorale, « traditions scolaires », culture légitime). Elle dévoile comment l’inégale distribution de ces produits langagiers structure des rapports sociaux (de classe et de genre) entre enfants, au croisement de l’acculturation scolaire et d’un langage entre pairs. Elle reproduit la structure sociale.

L’enquête conclut à une reconfiguration des fonctions différentielles de l’école maternelle : autour d’un curriculum réel, duquel une partie des milieux populaires est proche, et d’un curriculum caché, secondarisé, présupposant la réflexivité. Celui-ci est l’apanage des milieux dotés en ressources scolaires et l’objet légitime du champ d’intervention professionnelle de la littératie précoce. Finalement, la thèse montre que la priorité accordée au langage à l’école maternelle au nom de la réduction des inégalités scolaires perpétue la domination scolaire. Elle se réalise par la domination pédagogique que les entrepreneurs et les entrepreneuses de normes exercent sur les agents des primes socialisations.

Mots clés : langage, socialisation, scolarisation, petite enfance, école maternelle, corps, littératie, culture matérielle de l’enfance, pratiques pédagogiques, culture des pairs, éducations familiales, inégalités scolaires, rapports sociaux, genre, classe sociale, intersectionnalité.

Sommaire :

Première partie : L’invention du jeune enfant langagier

Chapitre I : Cultiver la petite enfance

Chapitre II : Scolariser la petite enfance

Deuxième partie : À l’école du langage : une double socialisation

Chapitre III : L’acculturation scolaire

Chapitre IV : Le langage entre pairs

Troisième partie : Primes socialisations langagières et rapports sociaux

Chapitre V : Les fabriques familiales du jeune enfant langagier

Chapitre VI : La domination pédagogique