Sylvain Aquatias, Légitimation artistique et fabrication de la précarité : l’exemple des auteurs de bande dessinée

Depuis que, dans les années 80-90, les grandes revues de bande dessinée ont cessé de paraître et que le format du roman graphique s’est imposé, la rétribution des auteurs de bande dessinée est devenue de plus en plus précaire. Non seulement la production s’est envolée, créant les conditions d’une saturation du marché, mais les séries connaissent un certain déclin, ne permettant que rarement la stabilisation des auteurs sur des personnages appréciés du public. La politique éditoriale favorise les récits en volume unique, qui leur permet de prendre moins de risques. La rétribution des auteurs s’est largement déplacée, dans ce cadre, d’un prix à la page vers un prix forfaitaire, dépendant d’un nombre approximatif de pages. La stabilisation financière des auteurs dépend alors souvent d’autres activités liées plus ou moins à leur activité artistique.

Alors même que, depuis l’article de Luc Boltanski sur « la constitution du champ de la bande dessinée »[1], une certaine légitimité de la bande dessinée s’est développée, les auteurs n’en voient pas les conséquences matérielles sur leurs conditions de vie. En ce sens, l’idée même d’un champ de la bande dessinée est peu démontrable : l’autonomie du champ est faible, la présence même d’un capital distinctif peu avérée, la multiplication des activités complémentaires de plus en plus nécessaire.

Basée sur les données issues d’une enquête de terrain en Charente (troisième département français en termes de présence d’auteurs) et des premiers résultats d’une enquête sur les auteurs francophones de bande dessinée en France, Suisse et Belgique, cette intervention analysera la manière dont les logiques capitalistes de cet art de masse définissent des conditions d’exercice de plus en plus précaires.

[1] Boltanski L. (1975). La constitution du champ de la bande dessinée, Actes de la Recherche en sciences sociales, 1, 37-59.