Vendredi 24 Octobre (9h) : Atelier 7 : Trajectoires scolaires et migrations

« Les difficultés scolaires des élèves “immigrés” : état et suggestions de recherche » – BERGAMASCHI Alessandro, Université de Nice Sophia Antipolis, URMIS

Étant donné que pour les jeunes dits ‘immigrés’ l’école représente, très souvent, le premier contexte pour commencer à entrer en contact avec la société majoritaire – et amorcer un processus d’intégration – la qualité des expériences vécues tout au long du parcours scolaire revête, donc, une importance de premier plan. Malgré cela, selon les statistiques officielles, les élèves appartenant à des ‘minorités immigrées’, une population qui regroupe tantôt des individus ayant quitté le pays d’origine, détenteurs ou non de la nationalité du pays d’accueil, tantôt des individus ayant les parents originaires d’un pays étranger, constituent un groupe social particulièrement touché par des difficultés scolaires. Notamment, ils ont tendance à abandonner l’école plus fréquemment que la population non-immigrée (Commission of the European Communities, 2008). Cette communication se penchera, d’abord, sur les explications dominantes des difficultés scolaires des élèves ‘immigrés’ que les études sociologiques françaises ont formulées tout au long de ces dernières années. Ensuite, nous nous orienterons vers des facteurs pouvant miner la réussite des jeunes ‘immigrés’ qui, à présent, demeurent sous-investigués. Premièrement, depuis les années 1960 un filon de la sociologie de l’éducation s’est intéressé aux effets des la stratification sociale sur les parcours scolaires. Selon la théorie de la reproduction sociale, les élèves ‘immigrés’ étant issus des catégories socio-professionnelles les plus démunies, il n’est pas surprenant qu’ils soient un groupe particulièrement touché par des scolarités difficiles (Vallet, Caille 2001). Dans ce cas, le raisonnement « toutes choses égales par ailleurs » élève la position sociale à explanans dominant de la réussite/échec scolaire. Deuxièmement, à partir des années 1990 un nombre important d’études a abordé les scolarisations perturbées des élèves ‘immigrés’ au moyen d’une approche socio-constructiviste. Confronté à un marché du travail de plus en plus hermétique, les jeunes sous-qualifiés, dont l’ ‘immigré’ est le type idéal (Proteau 2003), sont les plus exposés au chômage et, par conséquence, aux carrières déviantes. Dans ce cas l’impératif est de limiter avec tout moyen, même policier, l’échec scolaire pour éviter d’accroitre les files de la délinquance. Enfin, les études récentes, quant à elles, se focalisent sur les dynamiques au sein de l’espace scolaire. Dans ce cas, les difficultés scolaires sont appréhendées à partir des incompréhensions et des tensions qui peuvent affecter les relations entre, d’un côté, les élèves et leurs familles et, de l’autre côté, le corps enseignants (Bautier et al. 2002). L’origine de ces tensions est multiple et l’on peut mobiliser la théorie du handicap culturel ainsi que la présence de stéréotypes et préjugés qui empêchent une communication optimale entre ces deux acteurs.

Dans ce faisceau de recherches les effets propres à l’‘origine’ sont variables et ils occupent une place relativement importante parmi les chercheurs qui se focalisent sur les interactions scolaires. Nous pensons qu’afin de parvenir à une compréhension plus complète des difficultés scolaires des jeunes ‘immigrés’, il est important d’évoquer un autre facteur, qui se focalise expressément sur les effets propres à l’‘origine’. Plus spécialement, il se penche sur les tensions à caractère ethnique entre élèves majoritaires et minoritaires et sur les répercussions qu’elles peuvent avoir sur la réussite scolaires des seconds. Depuis des observations menées dans des collèges et lycées situés dans le sud de la France, il semblerait que les tensions entre les élèves qui mobilisent l’‘origine’ pour animer les querelles quotidiennes représentent un important élément de désaffiliation scolaire (Bergamaschi 2014). Ainsi, les élèves les moins insérés au sein du groupe classe – car victimes de blagues et moqueries qui s’appuient sur l’origine réelle ou supposée – sont aussi les élèves les plus à risque d’échec. L’organisation du réseau des pairs reproduit les clivages issus alors des lignes ethniques, ce qui entrave une réelle cohésion au sein de la classe et, semble-t-il, affecte la qualité du rendement scolaire. De plus, parmi les élèves minoritaires membres des groupes de plus ancienne installation (ex. Algérien, Tunisien, etc.), on constate des attitudes visant à placer les groupes de plus récente installation au bas de la hiérarchie (Tchéchènes, Roumains). Il est à souligner que selon la perspective proposée, il s’agit moins de comprendre les effets propres à l’‘origine’ que la manière ces dernières peuvent devenir un facteur aggravant et ce, selon la subjectivité des acteurs et la configuration de leurs relations au sein de l’espace scolaire. Il s’agit d’une piste en voie d’exploration et qui peut compléter l’étude des facteurs de déscolarisation des élèves ‘immigrés’.


« Récits de vie de collégiens inscrits dans un courant migratoire entre Guimaraes (Portugal) et Beausoleil (France – Alpes maritimes) au XXIe siècle : quand le dialogue familial prépare à la réussite scolaire dans une nouvelle langue » – FAUPIN Elisabeth, Université de Nice Sophia Antipolis, I3DL

Nous proposons de rendre compte d’une recherche basée sur des récits de vie de jeunes de 11 à 16 ans ayant migré de Guimarães à Beausoleil entre 2010 et 2013. Ces adolescents viennent d’un pays appartenant à l’Union européenne pour arriver en France ; ils ne connaissent donc pas le périple long et difficile des réfugiés politiques ou des mineurs isolés.

Ce courant migratoire existe depuis plusieurs décennies : partant de la ville de Guimarães, berceau du Portugal, située prêt de Porto dans la région du Nord, les jeunes arrivent avec leurs familles directement à Beausoleil, ville développée par l’immigration et fortement implantée dans le bassin monégasque vecteur d’emploi. En effet, de nombreux adultes portugais prennent la décision de venir travailler à Monaco dans les services ou dans la construction civile, entrainant avec eux leurs enfants en âge scolaire. Les jeunes au centre de cette recherche sont des élèves scolarisés dans le collège Bellevue seul établissement secondaire de la ville de Beausoleil. Ces adolescents s’inscrivent dans un projet migratoire historiquement ancré dans les mémoires françaises et portugaises depuis la vague d’immigration des années 1970. Pourtant, à Beausoleil, ce flux migratoire ne s’est jamais interrompu et persiste de nos jours.

Enrôlés dans ce projet familial auquel ils sont inégalement préparés par les familles, ces adolescents doivent faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. Car si l’objectif des adultes est de travailler dans des entreprises qui regroupent des lusophones, ces adolescents en cours de formation sont des collégiens qui traversent une période décisive de leur cursus scolaire : au niveau du collège, l’apprentissage du français de scolarisation dépasse largement les simples besoin de la communication quotidienne ; en outre, cette période de la scolarité est également placée sous le signe de l’urgence : le collège s’ouvre en effet sur des décisions d’orientation qui auront un fort impact sur la formation de ces élèves et orienteront leur vie professionnelle parfois de façon définitive. La question de la réussite scolaire est donc prégnante dans ce bassin frontalier. L’intérêt d’acquérir un diplôme n’est pas toujours reconnu par les familles car on peut trouver un emploi à Monaco sans parler français. Par ailleurs, les populations arrivantes ne sont pas toutes convaincues de la nécessité de prolonger les études de leurs enfants durant de longues années. Au Portugal, malgré des règles de scolarisation obligatoire jusqu’à seize ans comme en France, le gouvernement a dû mettre en place dans les années 2000 un programme de maintien scolaire pour les jeunes adolescents qui délaissaient l’école prématurément.

Cette recherche s’appuie sur l’enregistrement de récits de vie de dix élèves partis de Guimarães et arrivés à Beausoleil entre 2010 et 2013. Ils ont passé un an dans une structure d’accueil pour apprendre la langue française puis sont entrés dans une classe ordinaire et ont poursuivi leur scolarité au collège et au lycée. Ces récits de vie s’organisent selon deux lignes directrices : la préparation du projet migratoire au sein de la famille et l’adaptation à la scolarité en France. De cette façon, c’est la question du lien entre le dialogue familial et la réussite scolaire qui sera posée. Nous faisons l’hypothèse qu’une préparation à la migration par la parole au sein de la famille peut être un préalable favorable à la compréhension de la situation et de la migration et induire ainsi une meilleure implication dans l’apprentissage du français, un investissement dans la scolarité et une projection personnelle des élèves dans la poursuite d’une formation en France.
« Parcours et traitements scolaires des enfants migrants en France » – MOGUEROU Laure, PRIMON Jean-Luc, Université Paris-Ouest, CRESPPA-GTM, Université Nice-Sophia, URMIS

Cette communication s’intéresse aux parcours scolaires des enfants migrants dans le système éducatif français, c’est-à-dire des migrants arrivés en France en étant enfants ou adolescents. Ces dernières années l’étude de la scolarité des enfants migrants nés à l’étranger et arrivés en France avant l’âge de scolarisation ou en cours de scolarité qui occupait une place prépondérante dans les recherches sur la scolarisation des enfants d’immigrés a été sensiblement délaissée au profit de l’étude des trajectoires scolaires des descendants d’immigrés (personnes nées en France d’au moins un parent immigré).

Notre communication sera centrée précisément sur les parcours des jeunes nés à l’étranger, mais éduqués et scolarisés en France. Nous nous attacherons à décrire et à analyser leur place dans l’école française et singulièrement leur passage par les dispositifs d’accueil spécifiques dédiés aux élèves dits « primo-arrivants » ainsi que par les classes de l’enseignement spécialisé. Les conséquences de l’arrivée à un âge plus ou moins avancé seront également analysées au regard des parcours scolaires ultérieurs (orientations à l’issue du collège, obtention du baccalauréat, accès à l’enseignement supérieur) et des diplômes obtenus au terme des études initiales. Pour apprécier le traitement des enfants migrants dans le système scolaire français, leurs parcours seront comparés à ceux des jeunes descendants d’immigrés nés en France. Notre étude s’appuie sur les données de l’enquête TeO (Trajectoires et Origines). Réalisée conjointement par l’INED et par l’INSEE entre septembre 2008 et février 2009 en France métropolitaine, cette enquête a porté sur un échantillon de près de 10 000 personnes immigrées (nées étrangères à l’étranger), âgées de 18 à 60 ans en 2008. Le champ d’analyse se limite à la seule catégorie des « immigrés venus enfants ou adolescents » (30% des immigrés de l’enquête) incluant uniquement les immigrés arrivés jeunes (avant 17 ans) ayant fait toute leur scolarité en France ainsi que ceux arrivés en cours de scolarité primaire, au niveau du collège ou dans les filières courtes du second cycle du secondaire. En vue de comparer des parcours scolaires s’étant déroulés dans un contexte scolaire semblable et marqué par la démocratisation scolaire et la massification de l’enseignement, la champ est également restreint aux individus âgés de 18 à 35 ans ayant terminé leurs études initiales en 2008.

Comparativement à d’autres sources statistiques sur l’immigration, l’enquête TeO présente l’avantage de permettre à la fois la distinction entre descendants d’immigrés et immigrés venus enfants ou adolescents et leur caractérisation et cela indépendamment du statut d’entrée des jeunes ou des parents.


« Trajectoires scolaires de jeunes issus de l’immigration au Québec : stratégies d’orientation et d’insertion professionnelle » – MAGNAN Marie-Odile, GRENIER Véronique, Université de Montréal

En 2012, le Québec a accueilli 55 050 immigrants provenant de 130 pays différents (ISQ, 2013). Cette diversification des bassins migratoires jumelée à des politiques migratoires sélectives contribue à créer un profil socioéconomique, linguistique et culturel complexe chez les immigrants (Mc Andrew 2010). Les nouveaux arrivants sont tenus, selon les politiques linguistiques en vigueur (loi 101), de fréquenter les écoles du secteur francophone. Les élèves issus de l’immigration représentent désormais une majorité de la clientèle scolaire dans les écoles francophones montréalaises. Au Québec, les politiques en matière de gestion de la diversité visent la réussite de tous dans un Québec pluraliste. Dans ce contexte, les jeunes issus de l’immigration, bénéficiant pour la plupart d’un capital scolaire familial fort, réussissent à l’école secondaire (bien que certains groupes ethniques soient plus à risque). Ces jeunes tentent principalement de répondre aux aspirations de leurs parents qui visent souvent la réussite du projet migratoire et la mobilité sociale ascendante (Kanouté et al., 2008). De plus, ces jeunes accèdent en nombre élevé au postsecondaire (collèges et universités). Or, au postsecondaire, le choix de la langue d’enseignement est laissé à la discrétion de l’étudiant. Il s’agit d’un marché non régulé qui donne lieu à une vive concurrence entre les établissements postsecondaires – particulièrement à Montréal où plusieurs établissements anglophones et francophones structurent l’offre éducative. Peu de recherches jusqu’à présent ont abordé les choix d’orientation linguistiques des jeunes issus de l’immigration au Québec.

Cette communication présentera les résultats d’une recherche qualitative menée auprès de 38 jeunes issus de l’immigration fréquentant une université montréalaise francophone ou anglophone au moment de l’entrevue. La méthode des récits de vie a été utilisée afin de repérer les motifs des choix postsecondaires et de les situer dans l’ensemble du parcours migratoire des jeunes. La sociologie de l’expérience de Dubet (1994) a été mobilisée afin de repérer les logiques d’orientation postsecondaire chez les jeunes interrogés. Les résultats démontrent que les choix scolaires de ces jeunes sont principalement liés à des stratégies d’insertion sociale et professionnelle (logique stratégique). Les jeunes qui optent pour le secteur anglophone sont principalement guidés dans leur choix par l’attrait du bilinguisme sur le marché du travail national et international. Pour ces jeunes, on peut remarquer l’impact du poids des langues à l’international sur leurs choix d’orientation linguistique. Le contexte de mondialisation peut expliquer ce résultat, un contexte où l’anglais occupe toujours le statut de langue « hypercentrale » au plan économique (Calvet 2006). Également, on peut déceler une logique stratégique liée à la réputation internationale des institutions anglophones ; ainsi, l’impact de l’image que les établissements anglophones projettent sur le plan des représentations sociales semble jouer dans les choix d’orientation En ce qui concerne les jeunes qui optent pour le secteur francophone, c’est l’offre et la disponibilité des programmes qui semblent guider principalement leur choix. On peut remarquer que le choix du secteur francophone au postsecondaire semble constituer, dans la majorité des cas, un choix par défaut. On choisit d’étudier en français parce que le programme convoité est seulement offert dans une université francophone ou parce qu’on craint de ne pas être accepté dans un programme contingenté dans les universités anglophones. On choisit d’étudier en français au cégep faute d’être assez bon en anglais pour exceller dans des cégeps anglophones. Également, dans les récits des jeunes, on ne retrouve pas de discours où la maîtrise du français écrit et oral serait jugée cruciale pour l’insertion professionnelle future au Québec. Les jeunes ne racontent pas non plus avoir choisi une université francophone pour sa réputation à l’international. L’image des universités francophones ne semble pas jouer dans les choix des jeunes. Ainsi, une logique stratégique, instrumentale semble expliquer principalement les choix d’orientation des jeunes interrogés qui ont fréquenté à la fois le secteur francophone ou anglophone. Les motifs liés à l’appartenance linguistique, identitaire ou politique sont quasi absents des récits d’orientation des jeunes issus de l’immigration interrogés. De même, la dimension « expressive » de l’expérience scolaire, axée sur l’accomplissement et la réalisation de soi à travers les études, semble peu présente dans les discours des jeunes interrogés (Doré et al., 2008).

Vendredi 24 Octobre (9h) : Atelier 8 : Migrations clandestines et trajectoires de migrations

« Tanger et les harragas : les jeunes candidats à l’émigration clandestine à l’épreuve des mutations portuaires » – PRZYBYL Sarah, Université de Poitiers, MIGRINTER

Depuis une vingtaine d’années, les mineurs isolés étrangers dessinent le nouveau visage des flux migratoires vers l’Europe. Adolescents aux profils très divers, ils tentent de rejoindre le sol européen dans l’espoir d’une vie meilleure. Si des études s’attachent à identifier les causes et les formes de cette migration juvénile en se plaçant du point de vue du pays d’origine, d’autres se positionnent depuis le pays d’accueil pour saisir les modalités de prise en charge et les perspectives d’avenir des jeunes accueillis. Adopter ces approches n’offre qu’une vision parcellaire du phénomène migratoire concerné. Ainsi, s’excentrer de la situation d’accueil en France pour aller rencontrer les jeunes parler de leurs rêves d’ailleurs, avant qu’ils ne foulent le sol français et ne soient désignés comme « mineurs isolés étrangers », prenait tout son sens dans le cadre de ma recherche doctorale traitant des dispositifs de protection et de la renégociation du projet migratoire de ces jeunes accueillis en France.

Dans le but de s’imprégner de la réalité d’un contexte de départ pour être mieux à même de comprendre, et de mettre en perspective l’accueil des mineurs isolés étrangers en France, nous sommes allés enquêter pendant un mois sur le littoral tangérois, au Maroc. Nous avons conduits des entretiens informels – pour des raisons de sécurité – auprès de ceux qu’on appelle les harragas, les « brûleurs du détroit ». Parmi eux, des jeunes âgés de 7 à 18 ans ont fait leur apparition dans les flux migratoires clandestins. Venus des pays d’Afrique ou des provinces marocaines, ils sont nombreux à tenter de rejoindre clandestinement les côtes européennes par la porte tangéroise. Le choix de Tanger comme point d’observation trouve tout d’abord sa justification dans la visibilité des jeunes candidats à l’émigration clandestine dans les enceintes portuaires, mais aussi dans les mutations profondes qui modifient le littoral depuis quelques années.

À partir des témoignages recueillis auprès des jeunes, cette communication restitue les résultats de ce terrain tangérois portant sur les dimensions spatiales de l’expérience migratoire des harragas rencontrés dans les ports de Tanger-ville et de Tanger-Méditerranée. La recherche porte un regard sur les pratiques de l’espace à travers les stratégies d’adaptations et de contournement mises en place par ces jeunes comme des réponses à la nouvelle donne portuaire tangéroise. Par cette contribution, il s’agira de mettre au jour la fécondité d’une approche multi située dans l’appréhension de ceux que l’on appelle « mineurs isolés étrangers » à leur arrivée en France.

Le premier temps de l’exposé présentera rapidement le littoral tangérois où se concrétisent concomitamment deux projets portuaires ambitieux : la reconversion du port historique de Tanger-ville en une marina de luxe et la construction du complexe industrialo-portuaire de Tanger-Méditerranée. Entre ouverture sur le monde et renforcement des dispositifs de contrôle, ces projets signent la tentative de la part des autorités de se débarrasser des questions migratoires clandestines ayant régulièrement projeté Tanger sur le devant de la scène médiatique.

Le second temps de la présentation s’arrêtera sur les stratégies de contournement de la nouvelle donne portuaire mises en place par les jeunes rencontrés. Le cas de Tanger-ville et l’étude des nouvelles pratiques de passage clandestin mettront au jour l’évolution morphologique de la frontière ainsi que les nouveaux profils de mineurs qui émergent et tentent la traversée clandestine du détroit. Plus qu’un terminal de départ pour les candidats à l’émigration irrégulière, le port de Tanger sera abordé comme le terrain de rites initiatiques du passage de l’adolescence vers l’âge adulte pour certains mineurs enquêtés. Puis, nous partirons à la rencontre d’un groupe de jeunes casablancais à Tanger-Méditerranée. Dans l’antre du géant portuaire, ces adolescents ont recréé une microsociété aux règles spatiales et sociales définies dans l’objectif de concrétiser leur projet migratoire. Enfin, un dernier point présentera les circulations des harragas entre les deux enceintes portuaires comme le moyen d’optimiser les chances de passage mais aussi d’acquérir un certain savoir-migrer.

La conclusion de la communication reviendra sur l’hétérogénéité des profils de jeunes rencontrés qui compose actuellement les flux migratoires en provenance du Maroc vers l’Europe. Un détour sur l’environnement dans lequel ces adolescents ont été forcés d’évoluer au Maroc avant d’arriver en France fournira des clés de compréhension de la difficulté de la prise en charge des jeunes marocains, souvent désignés comme « plus difficiles à gérer que les autres » au moment de leur prise en charge.


« La migration clandestine féminine dans la société algérienne. Etude de cas des Harraguetes à Alicante (Espagne) » – KIME Sabiha, Université d’Oran

Le phénomène de la migration dans la société algérienne est caractérisé par un contexte historique. Il a été soumis à de nombreuses transformations et a été une source de progrès continus en raison de sa progression régionale et sociale. Sa propagation dans la plupart des régions du pays a touché tous les groupes de différents types sur le plan social et culturel. Nous avons voulu mettre en évidence la catégorie des jeunes femmes qui se sont intégrés au phénomène de l’émigration clandestine. Il s’agit d’un flux important de ce type d’émigration qui est devenu une réalité imposée à la société algérienne. De ce fait, nous avons essayé d’identifier le motif social des harragates à travers une étude de cas sur l’émigration clandestine à Alicante (Espagne) dans le cadre de collaboration établi entre le Centre National de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle d’Oran (CRASC) et l’Agence Espagnole de Coopération et Développement (AECID). Toutes les statistiques montrent que les hommes ont pris la partie, socialement et culturellement dans le phénomène de l’immigration clandestine et cela est distingué à travers leur fierté et l’amour de soi pour réussir dans cette entreprise et l’émergence de la résistance (physique et intellectuelle) et la multiplicité des stratégies. Ils se considèrent comme les pionniers de ce phénomène dans la société algérienne et on dit el harrga , harrague et en pluriel on dit harragas. Boukhoubza Noria l’ethnologue, a confirmé dans son article l’invisibilité des femmes concernant les flux migratoires les plus récents et se trouvant en situation d’irrégularité sur le territoire français. Les terminologies employées pour décrire les immigrées non maghrébines sont sexuées : on parle de « clandestins », jamais de « clandestines », comme si ceux et celles qui traversent les frontières sans titre de séjour n’étaient que des hommes. À cet égard, une étude sur la Migration clandestine féminine, dans la région de Dakar et sa banlieue, a révélé dans ses statistiques le nombre des clandestines arrêtées, entre 2006 et 2007, dans vingt-sept pays européens. Les migrantes clandestines singhalaises dans cette zone indiquent clairement la manière illégale du chemin migratoire et représentent un indicateur important de l’évolution de ce phénomène en particulier pour les femmes. Contrairement, l’émergence des femmes clandestines reste méconnue dans la société algérienne vu que les postes de police frontaliers persistent délibérément à ne pas fournir de chiffres précis et réels sur ce phénomène malgré leurs confrontations à ce problème sensible qui affecte la communauté. Ces femmes ne sont pas considérées comme des actrices dans le phénomène migratoire en dépit de l’arrêt de tentative de l’émigration clandestine féminine dans la mer. Nous avons décidé de développer une approche sociologique de ce phénomène reposant sur la question suivante : Est-ce que le phénomène de l’émigration clandestine, à partir de cette perspective, est une résistance éprouvée par les femmes dans leur pays et une stratégie pour reconquérir un nouveau statut honorable en sa qualité d’immigrante ?

Ce qui frappe encore c’est l’intrusion de jeunes femmes en tant que catégorie distincte au sein de la dynamique du phénomène de l’émigration clandestine et qui montre un côté fort et courageux dans cette aventure pour vaincre ces difficultés afin d’atteindre l’Europe. À cet égard, quatre des clandestines ont été interviewés à Alicante (Espagne) dont chaque cas est particulier par rapport à l’autre et sont comme suit : 1er : Wahiba, la divorcé. 2eme : Houaria, vieille célibataire. 3eme : Amina, la mère célibataire. 4eme : Samira, chômeuse.

Leurs tranches d’âge varient entre 22 à 38 ans et leurs niveaux scolaires diffèrent entre primaire et universitaire. Elles habitent dans des zones urbaines dans leur pays d’origine et ont dû travailler avant leurs émigrations. Chaque actrice a tenté, à sa manière, de savoir dans quelle mesure peut-elle réaliser son projet de départ, et à exploiter toutes les possibilités qui s’offrent à elle dans son milieu social, ou à l’aide et le soutien d’autres membres. Pour cela, les clandestines sont contraintes à passer les mêmes étapes, tout comme les hommes. Dans ce sens, Arab chadia a constaté qu’actuellement, la situation a changé pour les femmes car elles ne sont plus cachées et oubliées, mais elles sont actrices de leur migration, elles prennent la décision de partir et suivre les mêmes stratégies que la migration masculine.

En fait, les clandestines apparaissent qu’elles émigrent pour échapper aux conditions difficiles, alors que ce n’est pas la raison principale. Dans la réalité, elles ont déjà commencé une nouvelle vie différente selon la manière dont elles les arrangent à cause du divorce, la grossesse illégale ou le célibat. D’autre part, la société les rejettent et les pointent désobéissance. Donc, elles décident d’émigrer clandestinement pour passer à une nouvelle société qui approuve et soutient leurs nouvelle vie.

En dernier, parmi les effets du phénomène migratoire clandestin la contribution féminine pour réaliser son désir de prouver son autonomie, fuir la pression sociale, en considérant que l’émigration clandestine est l’unique façon de se libérer de la souffrance et ainsi le début d’une vie meilleure en Europe.


« Le jeune migrant clandestin tunisien en Italie ou la dépossession de soi » – NASRAOUI Mustapha, Université de Tunis

1-Introduction
Le nombre des Tunisiens qui ont débarqué clandestinement sur les côtes italiennes au cours des dix dernières années est estimé à 50.000 personnes. Mais c’est l’année 2011 (année de chute du régime de Ben Ali) qui a battu tous les records. En effet, trois mois après l’effondrement du pouvoir (14 janvier 2011), 30.000 Tunisiens âgés, en moyenne, de 24 ans, ont débarqué par vagues successives sur les côtes siciliennes et plus particulièrement sur les rivages escarpés de la petite île de Lampedusa. À la fin de cette année, le nombre s’élève à 35.OOO personnes dont le quart (25%) est constitué d’élèves et d’étudiants (Nasraoui, 2013) avec le triste record de 2.000 morts et de 1.577 disparus. Le retour de la vigilance sécuritaire à partir de mai-juin 2011 a considérablement réduit l’exode (700 personnes en moyenne par année) mais le niveau zéro n’est pas toujours atteint et ne sera, peut- être, jamais atteint ; la tentation existe toujours.

2-Les déterminants
On peut se demander comment ces jeunes à la fleur de l’âge osent risquer leur vie en s’embarquant dans des rafiots vétustes qui succombent à la moindre tempête ? Faut-il penser qu’ils sont chassés par des circonstances particulièrement graves : une guerre civile, une famine, un cataclysme… ? Rien de cela n’est arrivé en Tunisie depuis au moins un demi- siècle. Certes, la vie socio-économique comporte encore de nombreux déficits mais tous les indicateurs signalent une amélioration substantielle des conditions de vie des Tunisiens, comparaison faite avec la période de 1960-1980. À vrai dire, le départ des jeunes ne s’inscrit pas dans une stratégie de survie mais dans une stratégie de promotion sociale. Partant de l’idée que ni l’enseignement, ni le travail ne peuvent leur garantir, à court terme, un changement rapide de leur condition, ils envisagent l’émigration en Europe comme le seul moyen susceptible de leur assurer une promotion rapide. Contrairement aux générations précédentes pour qui la réussite est le fruit d’un travail de longue haleine, les générations actuelles semblent chercher, pour atteindre leur objectif, les voies les plus courtes. Derrière l’envie irrésistible de changer de situation se profile chez de nombreux candidats à l’émigration clandestine une image négative de soi nourrie par les déceptions de la vie et le regard des autres. L’émigration vers l’Europe devient une obsession exaltante pour toutes les catégories de déçus ; elle est l’antidote du mal-être et le baume qui cicatrise les blessures narcissiques. Au moins, deux facteurs ont contribué à forger l’image d’une Europe opulente et heureuse : les médias qui présentent ce continent comme un paradis terrestre et le « faste » retour d’anciens migrants en situation régulière qui affichent le bonheur malgré les difficultés qu’ils endurent dans les pays d’accueil. Subissant les influences mais à travers des biais cognitifs, les candidats à l’émigration clandestine écartent les informations dissuasives et ne retiennent que les évènements rassurants, comme en témoigne cette déclaration : « Je ne pense pas aux malheurs, je ne pense qu’aux moments agréables ». L’émigration virtuelle correspond-elle à l’émigration réelle ? Quelle est la correspondance entre les attentes et la réalité ?

3-L’évaluation du projet migratoire
Pour donner quelques éléments de réponse à ces questions, nous avons profité d’un voyage en Italie (Calabre et Sicile), au mois de novembre 2013, pour demander à neuf jeunes migrants clandestins tunisiens de nous livrer leurs récits de vie, centrés sur l’auto-évaluation de leurs projets migratoires. La rencontre a été faite sous forme d’entretiens individuels (six jeunes) puis sous forme de discussion avec un autre groupe de migrants clandestins parmi lesquels il y avait trois jeunes. Partant de l’idée que tout bilan se fait en termes de pertes et de bénéfices et que l’évaluation globale dépend finalement de l’équilibre des deux tendances, nous avons essayé de repérer aussi bien les aspects positifs que les aspects négatifs mais nous n’avons constaté dans les propos des jeunes que les sentiments de perte. Contrairement à une idée répandue en Tunisie qui n’envisage l’échec d’une expérience d’émigration clandestine qu’en termes de pertes matérielles, les résultats des entretiens reflètent de pertes multiples : Pertes matérielles, Absences de sources de revenus, mauvaises conditions de vie, Pertes éducatives et professionnelles, Abandon des études, arrêt d’une formation professionnelle, abandon du travail en Tunisie, Pertes sociales, Perte de la confiance des anciens enseignants, formateurs et employeurs. Manquer les occasions de se marier dans le pays surtout pour les femmes, Pertes socio-affectives, Promiscuité, absence d’intimité, manque de chaleur familiale, nostalgie, Pertes morales, Manque de considération, asservissement, exploitation.

Les différentes pertes ne se situent pas au niveau de l’avoir mais au niveau de l’être et constituent une fissure dans l’édifice de la personnalité avec des sentiments récurrents d’absurdité, de remords et de regrets ; c’est le sens de la vie qui est profondément touché. Lorsqu’une perte est isolée, elle peut être compensée par d’autres valeurs qui persistent malgré la privation, mais lorsque les pertes sont multiples, elles aboutissent à un sentiment de dépossession de soi. Mais nous pensons, en dépit des dégâts, que cette expérience n’est pas totalement négative ; elle a engendré au moins un nouveau regard sur le pays et a mis fin à une légende qui a longuement meublé leurs esprits.


« Exploiter ou valoriser un matériau biographique ? Les apports de la mise en forme littéraire d’un récit d’expérience migratoire » – MONCHATRE Sylvie, Université de Strasbourg, SAGE

Quel est le statut du récit de vie marqué par une expérience migratoire ? S’agit-il essentiellement d’un instrument de connaissance pour les sciences sociales ? Quelle fonction peut-il également remplir pour les enquêtés ? Nous voudrions, dans cette communication, réfléchir aux conditions dans lesquelles un récit de migration, même demandé par l’enquêteur, peut devenir un instrument de transmission au service de l’enquêté. L’utilité « indigène » de l’approche biographique ne va pas de soi tant son utilité scientifique tend à primer. On l’a ainsi d’emblée utilisée pour recueillir le récit autobiographique de l’Autre : l’Indien, le Polonais, le déviant (Bertaux, 1989). Elle relève, à ce titre, d’une demande extérieure et s’inscrit dans un rapport « centre-périphérie ». L’Autre constitue un informateur privilégié mais aussi comme un instrument d’observation en vue de la production d’une connaissance – par exemple sur la culture des pauvres (Lewis, 1961). Le matériau biographique constitue, de fait, un instrument précieux pour les sciences sociales en matière de migrations (Collet, Veith, 2013) car il permet d’échapper au risque d’analyser l’expérience migratoire uniquement du point de vue du pays d’accueil (Sayad, 1999), en la restituant à partir de la position du migrant dans son pays d’origine.

Mais au-delà de ces apports scientifiques, quelles sont les vertus de ce matériau pour les enquêtés ? On sait que l’enquête par entretiens approfondis peut présenter une dimension d’ordre « thérapeutique » (Delcroix, 1995). La dissymétrie du rapport d’enquête peut être neutralisée à partir du moment où l’entretien devient une « expérience spirituelle » (Bourdieu, 1993) qui permet à l’enquêteur de se mettre entièrement « à la place de l’autre en pensée ». Mais au-delà de l’effet bénéfique du moment de l’entretien, quelle peut être l’utilité à plus long terme d’un travail effectué sur le matériau recueilli ? La question se pose d’autant plus qu’en règle générale, les enquêtés ont rarement accès aux retranscriptions de leurs propos, cette retranscription pouvant être reçue comme une trahison (Jounin, 2008 : 263). De fait, le statut du matériau biographique pour l’enquêté demeure largement impensé à partir du moment où il a été converti en matériau à exploiter dans une perspective scientifique. En dehors des travaux de Catani (Catani, 1974 ; Catani, Mazé, 1982), l’analyse peut intervenir en porte-à-faux du récit produit par l’intéressé – comme c’est le cas dans les commentaires sociologiques du récit autobiographique de Wladeck Wiesnieski (Thomas et Znianecki, 1998). L’exploitation du matériau à des fins sociologiques pose ainsi la question de sa valorisation, non seulement à destination d’une communauté scientifique mais également d’un public plus large.

La valorisation d’un matériau biographique vise, de fait, à mettre l’accent sur sa « fonction expressive » (Bertaux, 1989). Est-ce à dire qu’il s’agit de recourir à une écriture plus imaginative de la sociologie (Bertaux, 1979) ? Ou qu’il faille y recourir, sur un mode plus réflexif, à des fins cliniques (Gaulejac, 1987) dans une perspective émancipatoire ? Nous nous demanderons plutôt ici en quoi le matériau biographique peut contribuer à la transmission d’une expérience et de « l’aura » qui l’entoure (Benjamin, [1933] 2011). Nous ferons l’hypothèse que la valorisation (ie l’attribution d’une valeur) d’un matériau biographique passe par un processus de traduction de l’expérience singulière en quasi-fiction. Nous rendrons compte du travail de mise en forme littéraire d’un récit migratoire, pour la restitution d’une expérience du rapport au « regard blanc » (Fanon, 2011 [1952]). Nous montrerons que cette écriture, si elle a d’autres visées que la connaissance sociologique, s’inscrit cependant dans une lecture sociologique du récit de vie. De fait, les concepts scientifiques peuvent servir d’instruments à la traduction du récit de vie en conte.

Vendredi 24 Octobre (9h) : Atelier 9 : Migrations et configurations familiales

« La gestion des relations familiales dans le parcours migratoire des jeunes. L’exemple des mineurs Afghans migrant vers la France » – VIHE Alexandra, Université Paris Sorbonne 3, IHEAL

Cette communication a pour objectif de monter les liens entre migration et relations familiales. À travers l’exemple des jeunes Afghans migrant vers la France, il s’agira de mettre en évidence les stratégies de communication utilisées par les jeunes avec leur famille, tant avec les membres restés dans le pays d’origine que ceux qui ont migré.

Dans un premier temps, il sera nécessaire de définir le rôle de certains membres de la parenté dans le projet migratoire du jeune. Nous prendrons l’exemple de la mère, adulte de référence dans les discours des jeunes Afghans à Paris. Cette figure féminine peut également être la grand-mère, la tante, une voisine ou une amie de la famille. Cependant, dans cette recherche, les jeunes parlent le plus souvent de leur mère. Bien qu’elle ne soit pas toujours présente, physiquement ou moralement, elle joue un rôle essentiel dans le projet migratoire du jeune. Figure d’attachement, elle est aussi une pièce maîtresse au moment du départ, en ayant impulsé le projet migratoire ou en donnant son accord. Elle est donc porteuse d’un double enjeu : celui de l’attachement, mais aussi celui de la dette implicite ou explicite liée à la migration. Dans la communication finale, nous pourrons donc nous demander si la migration du jeune peut être perçue comme l’une des stratégies de valorisation du statut de mère.

Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à la stratégie mise en place par le jeune pour prendre contact avec sa famille. Afin de décrypter les relations entre le jeune et cette dernière, plusieurs facteurs sont à prendre en compte, notamment le type de pays (transit ou définitif), le statut du jeune et le temps resté dans le pays. La migration temporaire et saisonnière dans un pays voisin (Iran et Pakistan) est un fait commun, très pratiqué en Afghanistan. Nombreux sont les jeunes à partir seuls en Iran à l’âge de 12-13 ans. Bien qu’ils soient séparés de leur famille pour un temps, la migration dans les pays frontaliers n’est pas perçue comme une rupture familiale. Par la suite, les jeunes Afghans partiront pour travailler et cela, pendant plusieurs années. Ils maintiendront des relations téléphoniques directement ou par l’intermédiaire d’un oncle ou d’un cousin. Le fait d’être séparé de sa famille, dans le sens vivre sans elle, ne signifie donc pas, ne plus avoir de contacts. Cependant, la migration vers l’Europe s’apparente quant à elle, à une migration définitive, à prendre la route vers l’inconnu. Elle se fait par étapes (Turquie-Grèce-Italie) et peut s’étaler sur plusieurs mois ou plusieurs années. C’est donc, souvent au moment de quitter l’Iran que le jeune arrête de dialoguer avec sa famille. En dehors d’un échange téléphonique pour débloquer la somme d’argent correspondante à la portion de voyage, l’exemple des jeunes Afghans a également montré que la prise ou l’absence de contact est établie en lien de dépendance avec le statut du jeune. Selon A. MONSUTTI, durant son voyage, le jeune passe du statut de « musâfar », voyageur à celui de « muhâjar », migrant. « Musâfar » est utilisé par la famille et le migrant pour désigner celui qui se déplace, qui voyage, assimilant les péripéties liées à l’aventure de la route. Les parents ne sont donc que très rarement au courant de la dureté du voyage vécue par leur fils. Ce dernier parti en migration sera donc considéré comme un « muhâjar », lorsqu’il s’est installé dans le pays d’immigration. C’est avec ce changement de statut que le jeune peut reprendre progressivement contact avec sa famille. Donner des nouvelles, c’est aussi se confronter à ses responsabilités. Le jeune devra s’acquitter d’une dette tant symbolique qu’économique, pouvant ainsi le conduire à nouveau à « couper » les contacts avec sa famille. À titre d’exemple, un jeune Afghan avait dit à sa mère, avoir une petite amie en France. Sa mère lui posant la même question : quand vous mariez-vous, il a préféré lui dire « ma copine est morte ».

Dans un troisième temps, il sera nécessaire de se demander comment la migration peut constituer un mode de gestion des relations familiales. En effet, ce n’est pas parce que le jeune est loin de sa famille qu’il n’y joue pas un rôle. Une fois installé dans le pays d’immigration, les jeunes Afghans peuvent continuer à participer aux questions familiales, notamment dans le choix d’un mari pour la sœur, la santé de la mère, le port ou non du tchador ou encore la scolarité des plus jeunes. L’absence du jeune émigré n’implique donc pas forcément une rupture de liens avec la famille. Voyager serait donc l’une des stratégies pour le jeune d’obtenir un rang, une place dans la société ou dans l’organisation sociale. Est-ce une façon de « remercier » sa famille, de lui « rendre la pareille », de lui « apporter mieux » ? Loin de se conduire en « victime » subissant la migration, le jeune peut devenir un soutien financier non négligeable, en avoir conscience et en tirer une certaine légitimité.

Enfin, nous pourrons nous interroger sur les relations avec les membres de la fratrie ayant eux-mêmes migré. En effet, les jeunes Afghans ont démontré qu’ils ne suivent pas toujours le parcours migratoire des ainés. Ils peuvent choisir de s’installer dans un autre pays. La relation familiale en migration est donc ambigüe. Elle oscille entre le besoin de reconnaissance des pairs et un désir fort d’émancipation. Elle peut influencer la forme de la migration et mérite donc d’être développée lors du séminaire.


« Quand les enfants restés aux pays émigrent à leur tour : trajectoires migratoires et familiales des jeunes philippins en France » – FRESNOZA-FLOT Asuncion, Université de Louvain, CIRFASE, Université Paris 7, URMIS

Depuis la fin des années soixante-dix, la plupart des immigrés philippins sont des femmes séparées de leurs familles restées au pays. Cette séparation est souvent aggravée par la situation irrégulière de la majorité de ces immigrées. Malgré le durcissement de la politique migratoire française, quelques-unes réussissent à faire venir leurs enfants dans le cadre du regroupement familial ou au moyen d’un visa de tourisme. Après être restés au pays et y avoir grandi le plus souvent à la garde de leurs grands-parents, ces jeunes se retrouvent soudainement sous le même toit que leurs parents. Comment ces retrouvailles familiales façonnent-elles leur vie en migration ? De quelle manière s’ajustent-ils à leur nouvelle situation familiale et sociale ? Les résultats de notre travail de terrain au sein de la population immigrée philippine en Ile-de-France montrent que ces jeunes subissent un bouleversement important au cours du processus de la réunification familiale. Les effets majeurs de leur immigration sont une mobilité sociale descendante, une situation irrégulière et, paradoxalement, un creusement de la distance affective avec leurs parents. Afin de faire face à ces effets, ils se tournent vers leurs réseaux familiaux et sociaux « ici » et « là-bas » tout en s’insérant à la société française. Leurs trajectoires migratoires et leurs expériences collectives de réunification familiale soulignent l’interaction dynamique entre famille et migration.


« Les migrations des enfants en France : d’un modèle de regroupement familial vers … ? » – EREMENKO Tatiana, Université Bordeaux IV, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, INED

Alors que les enfants migrants constituent une proportion non négligeable des migrants dans le monde (UNICEF 2010), leurs caractéristiques et les motifs de leurs migrations restent souvent mal connues, cette population n’étant que partiellement couverte par les sources de données existantes (Deleigne et Pilon 2011). En effet, si le recensement permet d’obtenir le volume et les pays d’origine de ces flux, les enquêtes et les données administratives permettant de comprendre davantage les motifs et les conditions légales d’entrée portent le plus souvent sur les seuls adultes. Dans ce contexte, les migrations enfantines, surtout celles vers les pays du Nord, restent majoritairement associées aux migrations dites « familiales » et à la procédure légale de « regroupement familial ». Cette procédure permet à un ressortissant étranger légalement établi un pays de faire venir les membres de sa famille, notamment ses enfants mineurs, sous certaines conditions.

Cette présentation s’intéresse aux migrations enfantines à destination de la France dont la situation est caractérisée par un paradoxe. D’une part, le nombre d’enfants admis dans le cadre de la procédure de regroupement familial ne cesse de baisser : 5 800 entrées en 2011 comparé à 14 000 en 2002 et 2003 (DSED). Cette évolution est parallèle aux restrictions apportées à la procédure lors des trois projets de loi dans la dernière décennie (2003, 2006, 2007). D’autre part, des éléments indiquent que les enfants migrants sont toujours présents en France. Ainsi, le Ministère de l’Éducation comptabilise chaque année entre 35 et 45 000 nouveaux « élèves allophones » arrivants (ce nombre pouvant être une approximation du flux des enfants d’âge scolaire). Ils occupent aussi une place importante dans les débats publiques, les médias et les arts (par exemple, le film « La Cour de Babel » sorti en salles en mars 2014 leur est consacré). Dans ce contexte, ce travail pose la question suivante : La baisse du nombre d’enfants migrants dans les statistiques résulte-t-elle des restrictions de la législation apportées dans les dernières années ? Ou observe-t-on une transformation des migrations enfantines en d’autres types de migrations, passant par d’autres procédures que le regroupement familial « traditionnel » ?

Pour y répondre, nous procédons en deux temps. La première partie de cette présentation se base sur l’exploitation des annuaires publiés par l’organisme chargé de l’accueil des familles migrantes en France. Leur exploitation permet de dresser le profil des enfants admis dans le cadre de cette procédure depuis 1967 en termes de pays d’origine, d’âge à l’arrivée, ainsi que des conditions légales et familiales de leur migration. Dans un second temps, nous nous intéressons aux procédures légales dans lesquelles sont admises les enfants dans la période récente en France (Famille de français, Famille de réfugiés et d’apatrides, Famille accompagnante, Vie privée et familiale), et notamment leur poids relatif à la procédure de regroupement familial. Les résultats suggèrent que si la majorité des enfants continuent de migrer en France dans le cadre familial, ils connaissent une diversification de leurs situations familiales, au même titre que les migrants familiaux adultes. La multiplication des procédures légales les concernant contribue à une plus grande difficulté à comptabiliser et comprendre les conditions de ces nouvelles migrations, mais introduit également davantage d’inégalités au sein des familles migrantes.


« Trajectoires de mobilité sociale intergénérationnelle des jeunes migrants argentins et marocains en Galice (Espagne) » – LAIZ Sofia, Université de la Corogne

Cette communication a pour objectif de réfléchir sur les processus de mobilité sociale intergénérationnelle des migrations. Cette étude se base sur l’analyse des trajectoires éducatives et professionnelles des jeunes migrants dans la région de Galice, en Espagne. La recherche a été mené autour de deux populations concrètes : celle en provenance d’Argentine et celle en provenance du Maroc.

Ainsi, mon travail tente d’apporter une approche multidimensionnelle sur les migrations Sud-Nord en analysant les trajectoires migratoires familiales et en considérant des jeunes migrants ainsi que des jeunes issus de l’immigration en tant qu’acteurs de la mobilité sociale. Dans ce but, j’ai pris en compte divers éléments comme : l’origine sociale des groupes familiaux étudiés à une époque antérieure à la migration, les dynamiques entre les stratégies groupales et individuelles autour de la migration, les différentes capitaux familiaux activés pour la mise en œuvre de ces stratégies, les politiques publiques ; le cadre institutionnel où ces migrations se produisent et les contextes sociaux d’origine et de destination en tant que scenarios précis pour la mobilité sociale (ascendante ou descendante).

Cette étude s’intéresse aux institutions qui produisent et perpétuent les flux migratoires internationaux de mineurs, et notamment aux rôles de l’institution familiale, des réseaux sociaux et de parenté. Son objectif principal est de découvrir les dynamiques sous-jacentes des processus migratoires des jeunes ainsi que d’analyser leur trajectoires éducatives et professionnels après la migration, en prenant comme axe d’analyse des autres acteurs et facteurs qui influencent les stratégies de mobilité sociale intergénérationnelle à partir de la migration.

La recherche a permis de comprendre que ces migrations s’expliquent par la fonction des réseaux familiaux et sociaux, qui se constituent de manière particulière dans chaque cas d’étude. A partir d’une analyse au niveau macro, méso et micro, elle met au jour les facteurs qui expliquent l’amélioration ou la détérioration du niveau éducatif et de la catégorie occupationnelle entre générations de migrants après la migration. D’autre part, elle a fait ressortir l’influence de la famille comme structure qui organise et met en place des formes différenciées pour activer les capitaux économiques, culturels et sociaux. Ceci explique en grande partie le conditionnement des trajectoires de mobilité sociale (éducatives et professionnelles) des migrants et de leurs descendants.


« Être le plus grand d’une fratrie placée : vécu du placement et passage à l’âge adulte des ainés filles et garçons » – KERIVEL Aude, ITS Tours, LERFAS

Dans le cadre d’une enquête sur « le devenir » des anciens placés en Mouvement Village d’Enfant nous avons recueilli l’expérience de 122 jeunes adultes ayant passé une partie de leur enfance en Village d’Enfant. L’occasion de revenir avec ces jeunes adultes sur ce moment de vie a permis de recueillir de nombreux éléments sur leur perception du placement en tant qu’enfant, la manière dont ils ont vécu la fin du placement et leur parcours jusqu’à aujourd’hui. Si les trajectoires sont hétérogènes et que la manière de percevoir cette période diffère selon le moment de l’entretien dans leur parcours, certains points communs ont pu être repéré et notamment entre les ainé(e)s des différentes fratries.

Les 122 questionnaires complétés par 28 récits de vie parfois de plusieurs membres de même fratrie ont permis de reconstituer les histoires de ces frères et soeurs. Arrivé au village, temps de placement, relation avec les professionnels, avec les membres de la fratrie, avec les pairs de placement et les camarades de classe et avec la famille d’origine, souvenirs sont autant de thématiques abordées qui font appel à la mémoire des enquêtés. Les expériences sont parfois vécues très différemment d’un membre de la fratrie à un autre. La sortie, la préparation, les ressources mobilités, le retour, parfois, en famille, les déménagements, l’insertion professionnelle et la construction d’une vie familiale sont également des thématiques abordées. Parmi les multiples identités présentées celle d’ « ainés » a retenu notre attention. En effet, au cours de l’enquête par entretiens, la place et le rôle des ainés est apparu comme particulièrement marqué, de plus cette position semble entrainer une manière de vivre le placement et la fin de celui-ci. Parmi les points communs entre les ainées, nous observons par exemple que l’arrivée au village est vécu de manière très spécifique et ambivalente, plusieurs se disent « soulager » que les plus jeunes soient protégé et heureux de ne pas être séparé et en même temps se méfient des adultes. Cela peut se traduire par un mutisme pendant les premiers mois. Certains explicitent clairement avoir le sentiment de « se sentir inutile ». Dans les entretiens tous parlent de leur rôle de protection des plus jeunes vis-à-vis des professionnels et parfois des autres enfants. Le départ des villages se fait un peu plus prématurément pour les ainées hommes que pour leurs cadets. Ceux-ci évoquent une période où ils ont eu besoin de vivre leur vie d’homme et de prendre de la distance avec le village et leurs frères et soeurs… Cette distance a parfois été géographique, d’autres fois il y a eu rupture avec les frères et soeurs. Pour les ainées femmes, le rôle maternant reprends une fois que les plus jeunes sont à leur tour sortie du placement. Enfin, la majorité des ainés et surtout des ainées femmes rencontrées ont souvent remplis le rôle d’animateur familial et ont particulièrement soutenu leurs frères et soeurs dans les moments difficiles.

Ces éléments nous ont amené à tester la variable « place dans la fratrie » qui associée à celle du genre amène en effet, des différences en terme de niveau de diplôme et de vie familiale qu’il semble intéressant de souligner.

PLAN
Interroger plusieurs membres d’une même fratrie
Fratrie et groupe permettant la remémoration
Récits et interprétations
Place réelle et place symbolique dans la fratrie
Les ainés filles et garçons et le vécu de l’arrivée et des premiers mois de placement
Le vécu, la remémoration et la reconstitution de l’expérience de placement
La fin de placement
La place d’ainés à l’âge adulte (au moment de l’enquête)

Vendredi 24 Octobre (9h) : Atelier 14 : Jeunesses et dispositions à…

« The contributions of Lahire to Youth research : a theorical review » – PAC David, VENTURA Tirso, Université de Saragosse

As it has been widely noted by several studies, economic crisis has gravely injured the emancipation process of young population. However, when looking into the history of this process furthermore form the actual recessions, youth’s emancipation has always consisted on a crisis itself. From preceding linearity and progressive, is currently defined by vulnerability, reversibility and precariousness.

This paper aims to analyse how transition to adulthood is constructed among young people during the last decade, considering current data with previous obtained before the crisis. Becoming an adult nowadays is formed by several achievements creating a complex process related to family background, education, labour market, housing, economic independence and new family formation. This analysis involves a combination of social relations in different levels with a remarkable intraheterogenity on the whole.

Although recognised authors such as Beck (2003) or Bauman (2008) has affirmed an increasing individualisation process in youth emancipation, the thesis of this paper tries to defend the opposite. Without denying the existence of this a major fact, there are still some social structures evidences impregnated on those more personalised processes. Following Cartmel & Furlong (2001, 2006) studies, among many others, we are willing to introduce the contributions to youth understanding produced by Lahire (2004, 2007, 2013).

To support our statement, this paper will be focused on a theoretical review on how to approach the study of young transitions. Firstly, recollecting the mayor lines usually applied to young, later, it will be tried to propose an advance of the perspectives based on the contributions made by Lahire. Finally, according to this, it will be stated a youth research development promoting a longitudinal perspective and rescuing the effect of social structure among the young.


« Le rapport au droit du travail des jeunes salariés. Enquête sur leurs connaissances, leurs perceptions, et leurs usages » – TREMEAU Camille, Université de Nantes, CENS

Actuellement en quatrième année de doctorat, notre thèse porte sur le rapport au droit des jeunes salariés, et plus précisément leurs connaissances, perceptions et usages du droit du travail. Cette thèse s’articule autour de différents terrains d’enquête. Une partie de la recherche porte sur les jeunes justiciables qui entament une procédure au Conseil des Prud’hommes. En regroupant travail sur archives (dossiers prud’homaux), observations (observations d’audience, mais aussi de l’accueil des justiciables et du travail des greffes) et entretiens approfondis auprès des jeunes justiciables, nous nous intéressons à un type particulier d’usage du droit, et aux modalités de sa mise en œuvre.

Faire appel aux Prud’hommes n’a rien d’anodin. Cela requiert un processus de transformation d’un conflit en litige, qu’il soit collectif ou individuel (William Felstiner, Richard Abel, Austin Sarat, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer », Politix, n°16, 1991). Tous les salariés ne se confrontent donc pas à l’institution judiciaire, et ceux qui le font disposent de ressources particulières ou bien se trouvent dans une situation telle que le recours aux Prud’hommes leur semble être la seule solution envisageable.

Il était donc essentiel de consacrer une seconde partie de l’enquête à des jeunes salariés qui n’ont pas nécessairement connu de contentieux dans leur entreprise. Par un ensemble d’entretiens approfondis, l’idée est de caractériser le rapport « ordinaire » au droit de jeunes salariés de différents secteurs d’activité : la coiffure-esthétique, le bâtiment et l’informatique.

Ces secteurs ont été choisis selon différents critères : composition de la main d’œuvre (âge, sexe, niveau de qualification requis), taille des établissements dans le secteur, présence ou non d’organisation syndicales et de représentants du personnel, formes d’emploi y prévalant (avec plus ou moins de formes atypiques d’emploi notamment), conventions collectives applicables etc. La population ainsi enquêtée est assez spécifique : tous les jeunes salariés rencontrés disposent d’une qualification (qui va du CAP-BEP chez certains ouvriers du bâtiment, à l’école d’ingénieur chez un informaticien), et exercent une activité en rapport avec leur formation. La plupart disposent d’un emploi, qui plus est en CDI (même s’ils ont pu connaître d’autres types de contrats auparavant). On est donc loin des jeunes ne parvenant pas à se sortir de dispositifs sociaux.

Dans cette communication, nous centrerons notre propos sur cette seconde partie de l’enquête, en évoquant en premier lieu l’importance de la socialisation salariale.

Nous verrons que le parcours socioprofessionnel, les premières expériences obligées (confrontation à un bulletin de paie, à un premier arrêt de travail par exemple), les épreuves vécues (comme un conflit avec l’employeur), la taille de l’entreprise et la teneur des relations professionnelles instaurées, sont autant d’éléments qui participent de la constitution de dispositions à l’égard du droit. Et puis, en nous focalisant sur les « jobs étudiants » exercés par certains jeunes informaticiens lors de leurs années d’études, nous insisterons sur l’impact des représentations du travail sur le rapport au droit. Comme l’ont montré Guillaume Burnod, Damien Cartron et Vanessa Pinto à propos des étudiants travaillant dans des fast-foods (« Étudiants en fast-food : les usages sociaux d’un « petit boulot » in Travail et Emploi, n°83, juillet 2000), le caractère provisoire du « job » peut freiner l’intérêt porté à ses droits, et les revendications.

On pourrait penser qu’il en va de même pour les intérimaires, dont l’emploi est par définition temporaire, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Nous verrons ainsi comment ce statut peut jouer de façon ambivalente, en prenant l’exemple d’un jeune plombier que l’on qualifiera d’ « intérimaire professionnel » (Chantale Nicole-Drancourt, « L’idée de précarité revisitée », Travail et Emploi, n°52, février 1992), et qui s’éloigne par bien des manières de l’image de l’intérimaire sans ressources et complètement soumis aux injonctions des boites intérim et des entreprises utilisatrices. Enfin, la socialisation salariale ne peut expliquer à elle seule le rapport au droit des jeunes salariées. Elle doit notamment être mise en rapport avec les configurations familiales et scolaires. Ainsi, alors que beaucoup d’enquêtés ont un rapport très distant aux représentants du personnels et plus largement à tout ce qui relève des relations collectives de travail, ceux dont l’un des parents est engagé syndicalement développent un ensemble de savoirs et d’intérêts à ce sujet. Et puis, du point de vue scolaire, l’apprentissage d’un métier donné permet l’intériorisation de quelques savoirs juridiques, comme la convention collective en coiffure, et la sécurité dans le bâtiment.


« La réussite scolaire à l’enseignement supérieur selon le genre » – ROY Jacques, Université de Laval, Québec

La communication porte sur les résultats d’une enquête nationale au Québec réalisée auprès de 4 289 cégépiens portant sur la réussite scolaire dans le réseau des collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps). À partir des dimensions suivantes, soit le rapport aux professeurs et à l’institution, les valeurs des cégépiens, leur bien-être personnel, leurs réseaux familial et social, la conciliation travail et études, enfin leurs conditions socioéconomiques,la communication s’appliquera à rendre compte des points de convergence et de divergence selon le genre des étudiants pour ces dimensions et à apprécier l’influence de ces dimensions sur leur propre cheminement scolaire. Tout particulièrement, elle insistera sur le système de valeurs des filles et des garçons compte tenu que cette dimension s’est avérée un aspect déterminant sur le plan de la trajectoire scolaire des étudiants. Ainsi, le champ des valeurs aurait un effet important sur les indicateurs de la réussite scolaire retenus par l’enquête, soit le rendement scolaire et la persévérance aux études. De plus, il discriminerait d’une manière tangible selon le genre.

À partir des différents constats de l’enquête, deux modèles compréhensifs seront proposés pour qualifier la réalité des filles et celle des garçons. Plus précisément, le modèle concernant les filles
consisterait en un modèle d’engagement de type conformiste qui traduirait un engagement plus intégré et soutenu chez les filles concernant leur cheminement scolaire. Ce dernier se maillerait davantage à leurs propres aspirations personnelles, leur propre identité,à travers un mode de socialisation où est recherchée la conformité aux exigences scolaires. Sur le plan de la socialisation, elles auraient plus tendance que les garçons à composer avec les règles existantes au collège pour se développer sur les plans personnel, social et scolaire. Le modèle des garçons serait axé sur une volonté d’affirmation de type ludique. En général, les garçons manifestent de différentes façons leur volonté d’être autonomes : autonomes devant les professeurs, devant leurs parents et valorisant l’esprit de compétition. L’indépendance, la capacité d’initiatives, l’individualisme, l’autonomie et la compétition seraient donc des valeurs qui distingueraient davantage les garçons. La perspective ludique dans laquelle s’inscrivent plus volontiers les garçons expliquerait que le plaisir serait davantage recherché dans les mécanismes d’apprentissage à partir desquels ils pourraient ainsi s’éprouver à travers des activités pédagogiques axées, par exemple, sur la recherche de solutions. D’autres, par ailleurs, peuvent exprimer ce côté ludique par une sorte de « dilettantisme » pouvant les conduire à des échecs scolaires et au décrochage.

L’enquête met en évidence le fait qu’il existe peu de différences selon le genre parmi ceux et celles qui réussissent bien leurs étude. Mais, plus on se rapproche des étudiants à risque sur le plan de la réussite scolaire, plus les différences selon le genre deviennent prononcées.

Sur le plan sociologique, l’enquête porte un examen sur les mécanismes de socialisation différenciés selon le genre des étudiants comme mode d’explication des trajectoires parfois différentes entre les filles et les garçons quant à leur parcours scolaire, personnel et social.

Une partie sera réservée afin d’échanger avec les participants sur les principaux constats de l’enquête.


« Normativité de l’accompagnement des jeunes sans qualification vers l’emploi. Ethnographie d’un centre EPIDE » – HOUDEVILLE Gérald, UCO Angers, CENS Nantes

En marge des « 7èmes rencontres jeunes et sociétés en Europe et autour de la Méditerranée », nous voudrions proposer une communication relative au thème de l’« insertion sociale et professionnelle des jeunes ».

Cette proposition serait l’occasion de rendre compte, au moins partiellement, des résultats d’une enquête de terrain conduite dans un centre EPIDE de l’Ouest de la France. Ces centres ─ il en existe près d’une vingtaine en France accueillant au total, chaque année, près de 3500 jeunes ─ mettent en œuvre un dispositif qui, parmi d’autres, s’efforce de pallier les difficultés spécifiques d’accès au marché de l’emploi que rencontre un public de jeunes (18-25 ans) sans qualification, c’est-à-dire de jeunes ayant arrêté leurs études sans avoir achevé un cycle complet de CAP ou de BEP et sans avoir eu accès à une classe de seconde. Pour ce faire, l’action des cadres, dans les centres, vise l’objectif de transmettre à ces jeunes ─ filles et surtout garçons, issus des catégories populaires ─ un capital de ressources que les (mauvaises) conditions de leur scolarité n’ont pas permis : Internes à la semaine, nourris et blanchis (ils portent tous la même tenue uniforme fournie par le centre), le programme de mobilisation qui leur est proposé (ils sont des « volontaires de l’insertion », des « V.I. », selon la dénomination officielle) sur place comprend des éléments en lien avec des savoirs scolaires (des tests de positionnement en français et en mathématiques notamment sont pratiqués à l’arrivée des jeunes dans les centres et des ateliers de remédiation en la matière sont organisés tout au long de leur prise en charge qui dure entre 8 et 14 mois). Celui-ci comprend également une partie d’apprentissages sociaux plus larges visant à « lever tous les freins » supposés empêcher précisément l’accès à l’emploi ou à une formation qualifiante : une attention forte est portée aux attitudes, à la présentation de soi, etc. conçues comme devant favoriser l’employabilité de ces jeunes. Détail qui singularise ce dispositif par rapport à ceux qui peuvent par ailleurs exister dans le même champ de l’accompagnement socioprofessionnel, le dispositif mis en œuvre par les cadres des centres EPIDE comprend des éléments de discipline militaire (marché en ordre serré, Marseillaise, lever des couleurs, organisation des groupes de jeunes au sein des centres en sections) conçus également comme devant permettre d’ « acquérir des postures » valorisées sur le marché de l’emploi.

L’activité qui se déroule au sein des centres EPIDE en tant qu’institutions peut être vue comme un observatoire particulièrement privilégié des relations entre structures sociales et structures mentales, c’est-à-dire des logiques et des mécanismes de tentatives de production de dispositions spécifiques. Ce qui s’y passe concrètement peut être regardé comme fondé sur l’interdépendance entre des individus porteurs de propriétés sociales et un contexte organisationnel, institutionnel qui va s’efforcer de renforcer ou de contrecarrer chez ces individus des inclinations à agir dans tel ou tel sens. Quelles sont ces dispositions et comment les agents, qui contribuent chaque jour au fonctionnement du dispositif concerné, s’y prennent-ils pour les inculquer à des individus déjà « formés » ─ la sorte de
travail de (re)socialisation que ces agents entendent faire sur et avec les jeunes ne pouvant pas être conçue de la même manière que les premiers marquages de la socialisation primaire ? Selon quels principes et de quelle façon très pratique ces agents font-ils ce travail de tentative de transformation, de refaçonnement de l’identité des individus ? Une réponse partielle consiste à dire que le dispositif est pris dans une tension forte entre un projet éducatif aux accents émancipatoires ou, tout du moins, d’autonomisation, et, d’autre part, l’attente forte d’avoir à placer les jeunes encadrés sur le marché de l’emploi ou, pour le dire autrement, objectif d’éducation de ses destinataires et demande de régulation des désordres (en matière de chômage des jeunes notamment) attendue des bailleurs.

Vendredi 24 Octobre (9h) : Atelier 15 : Jeunesses précaires, situations singulières

« Parcours des jeunes, insertion professionnelle et problématique de la citoyenneté en Tunisie » – BEN AMOR Ridha, Université de Carthage

Ne pouvant répondre à la thématique principale des Rencontres dans leur présente édition, je me propose, en continuité avec mes travaux antérieurs, de présenter une communication autour de la question des parcours de jeunes en situation de précarité, en rapport avec le travail (types de trajectoires, représentations du travail, etc.). Certes, il peut y être question de la migration, comme projet formulé par certains jeunes enquêtés, (émigration clandestine vers l’Europe, comme perspective d’insertion professionnelle), mais il sera surtout question de rapport au travail et à la citoyenneté.

Jusque-là, j’avais abouti à l’absence de citoyenneté statutaire fondée sur l’égalité et l’universalité des droits (Hassenteufel, 1996), car les individus étaient considérés comme des sujets dépendants, les prestations dont ils jouissaient, y compris dans le cadre de l’insertion professionnelle étant souvent considérées par les acteurs publics comme des gratifications voire des dons impliquant un retour ; sous la forme d’une reconnaissance voire d’une allégeance. La recherche de citoyenneté aboutit à un déficit, en particulier dans le monde du travail, certains jeunes expriment ainsi leur frustration par rapport aux institutions de formation, ou bien d’insertion professionnelle, ou encore aux autorités qui leur dénient une quelconque reconnaissance. De fait, tout en prenant à des degrés divers leurs distances par rapport aux acteurs institutionnels, les jeunes se tournent vers l’espace de la socialité primaire pour compenser l’absence de droits sociaux qui est l’une de leurs réclamations fondamentales, ils aboutissent dans l’ensemble à une recherche de construction de leur projet de vie loin des acteurs publics.

Alors que je m’étais attelé à réfléchir sur les parcours professionnels en rapport avec la question de l’individualisation, surtout compte tenu de l’allongement de la jeunesse, aboutissant ainsi à l’élaboration d’une typologie des trajectoires, la réflexion actuelle, qui se base sur une enquête en cours dans l’un des quartiers populaires étudiés il y a quelques années, tente d’élargir la perspective d’analyse à d’autres dimensions, en particulier celle de la citoyenneté, ce qui paraît s’imposer depuis le soulèvement de 2011, la réflexion actuelle intègre non seulement la citoyenneté sociale en rapport surtout avec le monde du travail, mais également la dimension de la citoyenneté politique à travers le questionnement de la participation des jeunes à l’espace public, comme espace de débat, de mise en œuvre de la citoyenneté au niveau du rapport aux acteurs publics, dans la mesure où il a été au centre de la contestation de l’ordre politique. il s’agit ainsi de revisiter une politique qui se caractérisait jusque là par une approche dont les traits saillants sont la verticalité et le clientélisme, vecteurs par lesquels l’État a tenté de contrôler ces quartiers. Certes, il peut paraître quelque peu prématuré de chercher à décrypter de nouvelles pratiques suffisamment inscrites dans la mise en œuvre de ces politiques pour en faire des caractéristiques visibles susceptibles d’en constituer la substance même, mais il est utile d’intégrer au moins la représentation que s’en font les jeunes et la manière dont ils la prennent en compte dans la construction de leurs parcours. S’inscrivant dans le même sens, et afin de tenir compte de la combinaison entre dimension objective et dimension subjective de ces parcours, la notion de projet paraît être indiquée pour les restituer. En s’inspirant d’autres travaux (Geminel, 1988 ; Dubet, 1994), on a retenu finalement que les projets professionnels des jeunes qui s’inscrivent dans ce processus peuvent être appréciés à la lumière de deux critères essentiels, à savoir l’existence d’objectifs et la prise en compte des moyens à mettre en œuvre en vue de les concrétiser.

Enfin, il sera utile de revenir également sur le positionnement des jeunes par rapport à de nouveaux enjeux cruciaux, car l’on est passé d’un ordre social où l’individualisation s’imposait progressivement, à travers l’accès au travail, l’installation dans la vie conjugale ainsi que la diversification de l’appartenance à divers cercles de socialité, à un contexte où elle est contrecarrée par le développement d’une tendance à la « communautarisation » à travers la valorisation du sacré, la ligne de partage étant désormais entre les croyants et les non croyants. Alors que l’indépendance financière assurée par l’accès à l’emploi précédait souvent l’autonomie résidentielle concomitante à l’installation dans la vie conjugale, ce modèle pourrait être menacé, en particulier dans le cas des filles, compte tenu de l’investissement du champ résidentiel par de nouvelles forces qui prônent un retour vers la primauté du groupe, au nom d’une lecture qui place le sacré au cœur de son projet de société.


« Entre travailleurs saisonniers venus d’Afrique subsaharienne et exploitants agricoles : confiance ou arnaque ? » – DIALLO Ibrahima. Université de Poitiers, GRESCO

Le champ des migrations internationales et des relations interethniques en France a longtemps été dominé par les questions liées à l’intégration et par la sociologie du travail en référence aux ouvriers vivant en milieu urbain. C’est en ce sens que les migrants recrutés comme travailleurs agricole saisonniers ont été négligés par les recherches. Celles-ci portent sur les ressortissants de l’Union Européenne comme les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Polonais voire ceux de l’Afrique du Nord. Les populations issues d’Afrique subsaharienne récemment présentes en France ont fait l’objet de peu d’études. C’est pourquoi la recherche que je mène dans le cadre mon doctorat vise à analyser les parcours des travailleurs saisonniers issus de cette partie d’Afrique dans les régions de Poitiers et de Reims (deux régions spécialisées dans la culture intensive de melons et de vignes). Dans ces zones spécialisées dans une ou plusieurs cultures intensives, l’excès structurel de main-d’œuvre est une condition nécessaire du fonctionnement du marché du travail. Une pénurie de main-d’œuvre de récolte peut déclencher à tout moment une spirale incontrôlable de hausse du salaire aux pièces, chaque employeur cherchant à sauver sa récolte (Berlan, 2008). Car sa perte entrainerait la perte d’une année de revenu et d’investissement. C’est ainsi que lorsque les récoltes sont prêtes à être engrangées, un apport de main d’œuvre est indispensable. Un homme qui suit par exemple la saison des melons peut avoir du travail de la mi-avril, moment où la plantation commence dans la région de Poitiers, jusqu’à la fin du mois d’octobre marquant la fin de la saison avec la cueillette et à Reims avec les vendanges. Les ouvriers agricoles s’occupant de la cueillette des fruits peuvent parfois rester dans une même région sans cesser d’avoir de nouvelles variétés de fruits à récolter. Selon Berlan, ils « doivent venir de régions ou pays où les revenus sont si faibles que la perspective de revenus monétaires limités, de conditions d’emploi précaires et de conditions de vie difficiles reste malgré tout attirante. Les saisonniers sont donc toujours une main d’œuvre allogène et presque toujours étrangère. » ( Berlan, 1986 :16 ). Poursuivant sa réflexion sur les raisons du recours de cette main d’œuvre migrante, il montre que celle-ci correspond mieux aux critères utilisés car un ouvrier étranger cherche : « un revenu qui lui permet de payer ses frais de voyage et de séjour et d’envoyer de l’argent à sa famille. Il accepte facilement un salaire inférieur au salaire horaire minimum légal à condition de pouvoir accroître son revenu en allongeant la durée de son travail. Par conséquent, une main-d’oeuvre étrangère est très souple d’emploi et elle est moins chère que celle d’origine nationale : le salaire horaire minimum légal est, pour des étrangers, un salaire maximum. » ( Berlan, 1986 :17 )

Les premiers résultats de cette enquête de type ethnographique ont permis de constater le recrutement massif de jeunes issus d’Afrique subsaharienne dans les travaux saisonniers. Mais ils ont aussi permis de noter la mise en place de stratégies d’embauche permettant aux exploitants agricoles de solliciter des intermédiaires ou des amis en raison du caractère anonyme et inorganisé des travailleurs migrants. Il est considéré comme l’interlocuteur de l’agriculteur. Il peut rendre ce service sous différentes formes : il est celui qui recrute les travailleurs saisonniers, il peut être un ami ou un inconnu.

Dans cette communication, il sera question d’analyser la nature de la relation entre exploitants agricoles et travailleurs saisonniers. L’enjeu de celle-ci est de rendre compte de situations concrètes : par exemple lors des vendanges à Reims, nous avons constaté que les ouvriers saisonniers sont payés à la tache c’est-à-dire à la quantité de raisins cueillis au kilo. A la fin de chaque journée de travail, les caisses remplis de raisins sont transportées à la coopérative des vignerons pour être pesés : Quel est le poids de raisins cueillis ? Le mode de rémunération à la tâche génère souvent des litiges entre exploitants et ouvriers saisonniers autour de la question du poids de raisins cueillis. Comme le souligne Berlan : « En accroissant le nombre d’ouvriers employés et en les payant aux pièces, l’agriculteur souscrit gratuitement une police d’assurance tous risques. En outre, le paiement aux pièces limite l’intervention de l’employeur au contrôle de la qualité et à la comptabilité du nombre de caisses ramassées. Il lui permet d’utiliser n’importe quelle source de main-d’œuvre (chômeurs, étudiants, femmes, routards, vacanciers…), quelle qu’en soit la productivité et élargit presque indéfiniment les possibilités de recrutement, sans alourdir les coûts de surveillance et de discipline puisque l’ouvrier est forcé à l’auto-discipline. Le paiement aux pièces et le caractère anonyme, fluctuant et hétérogène de la main-d’œuvre sont, par conséquent, indissolublement liés. » (Berlan, J-P, 1986 :16)

Nous avons aussi constaté que les exploitants agricoles cherchent le maximum de souplesse dans le travail à la tache tout en s’efforçant d’obtenir la garantie du travail bien fait. Dans ce cas, des liens de confiance se créent avec les ouvriers immigrés renouvelant les embauches avec les mêmes ouvriers d’une saison à une autre. Ce qui favorise la création de réseaux informels entre immigrés parents ou amis pour faire face aux variations de force de travail.

Je m’appuierai sur des observations directes du travail en vigne et des entretiens informels recueillis auprès des travailleurs saisonniers et d’exploitants agricoles à Reims.

Dans cet exposé, j’indiquerai d’abord le sens que les jeunes migrants saisonniers donnent au travail saisonnier. Ensuite, je montrerai les stratégies que les employeurs mobilisent pour recruter une main d’œuvre saisonnière. On verra donc que des réseaux se créent favorisant une relation de confiance avec les immigrés. Enfin, je terminerai par les litiges qui existent autour du mode de rémunération à la tâche.

Mots clefs : Travailleurs saisonniers, immigration, parcours


 

« Les “jeunes filles roumaines” et la justice française : traitement différentiel, universalisme » – VUATTOUX Arthur, Université Paris 13, Sorbonne

Dans cette communication, je propose de rendre compte d’une enquête au sein d’un Tribunal pour enfants visant explorer les biais de genre qui apparaissent dans le cours de la chaîne judiciaire, à partir des processus de qualification (juridique et non-juridique) et de balisage des parcours institutionnels (orientation préférentielle des filles au civil ou dans les institutions médico-psychologiques versus ancrage des garçons dans la délinquance dite « anti-sociale » et dans une réponse judiciaire basée sur la sanction).

Outre la mise en évidence d’un tableau somme toute relativement classique de l’étiquetage différentiel dans les institutions d’État (école, hôpital, tribunal, etc.), une exception au traitement genré de la délinquance est apparue lors de l’enquête et mérite une attention particulière. Cette exception est celle des « jeunes filles » dites « roumaines ». Ce label (employé par les acteurs du monde judiciaire) recouvrant en réalité les adolescentes étrangères isolées (c’est-à-dire, dans le lexique juridique, dont la minorité est établie ou supposée, dont les parents ne sont pas connus et pour qui on établit ou suppose une origine nationale étrangère, en l’occurrence roumaine). Alors que les adolescentes « non-roumaines » voient le plus souvent leur délinquance recodée dans les termes de la protection et sont condamnées par les juges des enfants à des peines de réparation ou à des alternatives aux sanctions pénales, les dossiers de « jeunes filles roumaines », essentiellement poursuivies pour des faits de vol, aboutissent pour ainsi dire mécaniquement à des peines de prison. Exception dans l’exception (puisque dérogeant au statut déjà exceptionnel de la délinquance des filles), le cas des « jeunes filles roumaines » montre une situation dans laquelle le genre ne semble plus opérant comme analyseur des décisions de justice, comme si d’autres modes de catégorisation – ici basés sur la race –, s’y substituaient.

L’enquête prend appui sur un terrain réalisé en Île-de-France, comprenant l’étude de 230 dossiers judiciaires, l’analyse des écrits éducatifs, et une ethnographie du tribunal pour enfants (observation du travail de l’Unité éducative auprès du tribunal – service d’investigation -, observation d’audiences). Cette recherche a permis d’explorer un impensé discriminatoire de la justice des mineur-e-s, souvent considérée par les acteurs, précisément, comme imperméable à toute forme de discrimination de classe, de genre ou de race (en vertu de l’universalisme juridique dont elle serait l’émanation). Cette recherche permet par ailleurs d’aborder les implications politiques de ces résultats en termes de critique de l’universalisme abstrait et de la neutralité étatique.