Mercredi 22 Octobre (14h) : Atelier 1 : Mineurs isolés étrangers (1)

« Des enfants au bord de la ville ? Les “mineurs isolés étrangers” détenus en zone aéroportuaire » – PERROT Adeline, EHESS

Dans la zone d’attente « mineurs isolés étrangers » de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, produit récent de la politique française de retenue à la frontière, la prise en charge des jeunes enfermés oscille/hésite entre protection de mineurs en danger et maitrise policière des mobilités migratoires.

Ouvert en juillet 2011, à l’intérieur même de la zone d’attente pour personnes en instance (ZAPI 3), l’espace clôt dédié à l’accueil des mineurs isolés étrangers a été créé dans le but de séparer les mineurs voyageant seuls de la population adulte et des mineurs accompagnés. Selon les estimations disponibles, ces mineurs seraient au nombre de 8000 à être admis par les services d’aide sociale à l’enfance des départements français. Public devenu objet de préoccupation politique (Gusfield 2009, p.10) depuis une quinzaine d’années, les mineurs isolés étrangers arrivant par Roissy étaient 222 à avoir été placés provisoirement en zone d’attente mineurs en 2012. Les raisons en sont la demande d’asile à la frontière, le transit ou la notification de refus d’entrée sur le territoire, faute de posséder les documents requis. Si les mineurs isolés recueillis sur le sol français sont considérés légalement comme des « enfants en danger », en zone d’attente, leur statut n’est pas clair et la protection de l’enfance ne s’y exerce pas de fait. La création législative d’une frontière, au-delà des portiques de contrôle à la sortie de l’avion, conduit à interroger le basculement de la catégorie « mineurs isolés étrangers » vers celle de l’enfance en danger, dans cet espace intermédiaire supposé hors territoire national.

Notre recherche ethnographique s’est intéressée au fonctionnement interne et « sous verrou » de la zone mineurs, via l’observation prolongée du travail des médiatrices-interprètes de la Croix-Rouge, chargées de veiller 24/24h sur les mineurs placés. Il importe de comprendre comment ces professionnelles formées à la petite enfance s’y prennent pour qualifier et agir auprès de ce public qui leur est adressé, tantôt perçu comme public justiciable (Fischer 2012, p.2) dont il faut vérifier l’identité, tantôt perçu comme public d’enfants « fragilisés » par l’aventure migratoire, qu’il s’agit d’abord de protéger.

Les hésitations sémantiques et les difficultés pour désigner ce public de jeunes mineurs détenus en zone d’attente sont significatives d’un problème de fond dans la définition du juste traitement à leur appliquer. Un premier niveau de définition est le niveau légal : de ce point de vue, il s’agit de « mineurs » supposés isolés, dont il reste toutefois pour certains à vérifier l’identité et l’âge biologique, ce qui se fait au moyen de méthodes techniques de détermination de l’âge et de la filiation aujourd’hui relativement controversées. Envisagé sous un autre angle, le public des jeunes retenus est un public d’« enfants » qui dès l’instant où ils se trouvent affectés en zone mineurs ont toutes les raisons d’être considérés comme vulnérables. Ils ont vécu un voyage éprouvant, ont pris des risques considérables et nécessitent par conséquent une veille attentive de leur sommeil, leur alimentation, leur santé et leurs activités. Selon une troisième perspective, les professionnels ont affaire à des « jeunes » dont il est parfois difficile de faire comme s’ils s’agissaient encore vraiment d’enfants. Pour une question d’âge d’abord : en 2012, les 13-18 ans (202 sur 222) représentaient plus de 90% de l’effectif maintenu en zone mineurs dont la moyenne d’âge sur l’ensemble est de l’ordre de 12 ans. Nous avons donc cherché à voir comment les médiatrices composent avec ce problème de qualification du public, tout autant embarrassées de rompre l’association à l’innocence de l’enfance que de les rattacher à une jeunesse compétente en matière d’immigration parce qu’« élue » pour l’accomplissement du projet migratoire de la famille (Laacher 2002, p.40-41).

L’enquête montre ainsi une circulation et une oscillation entre différentes catégories : « mineur » d’après la rigidité du format juridique, « enfant » à qui un traitement particulier est conféré et « jeune » dont le parcours de mobilité suppose l’incorporation de preuves de résistance et de détermination, (Laacher 2005, p.17-18) pouvant resurgir en zone mineurs mais se devant d’être contenues. Si ces trois figures se côtoient, nos observations montrent que les médiatrices s’efforcent de contrebalancer les cadrages supposés par les catégories de « minorité » d’une part et de « jeunesse » d’autre part, en appuyant et promouvant un cadrage apparié à la catégorie de l’enfance. Pour ce faire, elles mobilisent les ressources offertes par l’environnement de la zone mineurs et travaillent pour orienter dans un certain sens les manières possibles d’habiter ce lieu de transition et de détention.


« Les dispositifs d’accueil des mineurs isolés étrangers en France : émergence d’un processus de catégorisation » – LORMIER Clémence, Université Paris 7 Diderot

Dans cette communication seront analysées les représentations qui sous-tendent l’évolution des dispositifs français d’accueil des mineurs isolés étrangers (MIE) depuis 2012. Nous posons l’hypothèse que ceux-ci reflètent les intérêts supposés des politiques publiques en termes de gestion des flux migratoires, autant qu’ils illustrent l’apparition d’un nouveau groupe social et d’une nouvelle catégorie administrative. L’identification des MIE par les politiques publiques européennes commence dans les années 1990 autour de la problématique du droit d’asile, pour intégrer progressivement le souci d’une protection d’enfants initialement perçus comme en danger. La directive européenne 2003/9/CE du 27 janvier 2003 définit finalement les « mineurs non accompagnés » comme des personnes âgées de moins de dix-huit ans qui entrent sur le territoire des États membres sans être accompagnées d’un adulte qui, de par la loi ou la coutume, en a la responsabilité et tant qu’elles ne sont pas effectivement prises en charge par un tel adulte (…) En France, la prise en compte de ces mineurs « non accompagnés » apparaît de façon similaire, ceux-ci étant identifiés comme « mineurs isolés étrangers ». La responsabilité de ce public, défini par une double caractéristique (l’âge et la nationalité), est sujette à controverse : si les départements, légalement en charge de la protection de l’enfance, sont responsables des MIE qui leur sont confiés, certains conseils généraux soutiennent que les politiques migratoires relèvent de la responsabilité nationale (ministère de l’Intérieur).

Les représentations sur les MIE exprimées dans les débats publics empruntent à un certain imaginaire sur l’étranger, alternant l’image d’une vulnérabilité liée à l’enfance et celle, plus récurrente, d’ « indésirable ». La menace d’un « appel d’air » et la dénonciation d’un « détournement » des dispositifs de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) se situent dans la continuité d’une vision qui se réfère à l’immigration clandestine, porteuse d’enjeux en termes d’accueil et d’égalité de traitement. Ce discours semble justifier un traitement différencié des quelques 8 000 mineurs étrangers présents en France.
La tension autour de cette question se traduit par les actions des départements les plus concernés par la présence de cette population. Par exemple l’accueil des MIE est, à Paris, séparé dès 2003 de celui des mineurs nationaux. Une décision d’interruption de l’accueil des MIE a été prise par le Conseil général de Seine-Saint-Denis en 2011, donnant lieu à un dispositif d’accueil dérogatoire. Ailleurs, les modes d’accueil de ce public prennent des formes variées. C’est pourquoi une circulaire a été élaborée par le ministère de la Justice, avec consultation de l’assemblée des départements de France, et mise en application le 31 mai 2013 afin de niveler l’inégale répartition des mineurs entre les départements. Cependant cette réglementation nouvelle a eu pour effet un accroissement des tensions et, souvent, l’entrée dans l’illégalité de conseils généraux qui refusent son application, sans que leurs démarches soient sanctionnées. Six mois après sa mise en application, et alors que l’évaluation du nouveau dispositif était en cours, un projet de loi était proposé au Sénat à l’instigation de dix-sept conseils généraux pour soumettre la prise en charge des MIE à la Protection judiciaire de la Jeunesse.

Le but de cette communication est de mieux comprendre comment l’institution française appréhende le groupe des MIE en tant que mineurs et étrangers. Ces deux catégories, nous tenterons de le démontrer, sont chargées d’imaginaires complexes. Nous questionnerons le rôle des différents acteurs de l’accueil des MIE, tant institutionnels qu’associatifs, dans l’évolution des pratiques et des représentations, et en particulier dans l’interaction entre l’échelon national, celui des conseils généraux, et celui d’un secteur associatif aux positions hétérogènes. Cette réflexion s’appuiera sur les discours médiatiques et sur les débats institutionnels. Il s’agira de mettre en évidence la construction récente d’une catégorie administrative puis sociologique. Enfin, on analysera les conséquences de cette réification en termes de traitement du groupe ainsi identifié, et son inscription dans les politiques migratoires françaises.


« Unaccompanied children crossing borders. Seeking identities across southern Europe » – FRAGAPANE Stefania, Université de Catane

The presence of unaccompanied minors (usually defined as foreign under the age of 18, coming from extra EU countries and not being cared by an adult) in southern Europe is increasing. Many of them are actually registered on the Sicilian territory. As minors, they are placed in communities, they are included in “integration projects” and nominating a guardian. Moreover, many of them escape, several of which becoming “untraceable”. The emergency approach on migration, the high costs of long-term reception on local municipalities, the role and competences of institutional actors, together with minors’ expectations and communities define a complex and distinctive point of view on “local” construction of boundaries. According to our approach, the figure of the unaccompanied foreign child intercepts the core aspects of migration and it recalls different crossing dimensions : immigrations/emigrations, minority/majority age, juvenile protection/ autonomy, inclusion/ exclusion. On the territory, minors experience the complex process of integration that constantly fluctuates between inclusion and exclusion, protection and control, as a result of the networks structured at local level through the actions, the skills and the resources of actors. Therefore, the aim of the paper is to analyze the subject of migration and borders with reference to separated children’s access to integration paths in the Southern Europe and, especially on the Sicilian territory focusing on the activated local processes, on roles and competences of institutions involved and on the guardians’ role, which can be crucial in developing understanding and responsibility of local actors and separated children.


« Le voyage d’exil des mineurs isolés étrangers : de multiples traumas » – LECONTE Juliette, France Terre d’Asile

Il existe plusieurs façons de faire le voyage d’exil pour les mineurs isolés étrangers. Il peut être réalisé grâce à un passeur qui a pour objectif d’amener le jeune en Europe. Mais les plus pauvres doivent se débrouiller seuls, payant l’aide de passeur seulement à chaque frontière. Les jeunes vont vivre de multiples traumatismes : ils voient d’autres personnes mourir ou pense eux-même mourir. Après avoir parlé du départ du pays, je propose de voir certaines caractéristiques du voyage d’exil : la solitude et l’isolement (quel lien à la famille) ; le bouleversement des règles sociales et du rapport aux adultes ; multiples séparations. Ensuite, je propose de parler des conséquences de ces traumas pour les jeunes, notamment en présentant des cas cliniques : un jeune malien, un jeune afghan. Deuil, rupture, frayeur. Enfin, je propose de développer les particularités du travail psychologique avec ces jeunes qui viennent d’arriver en France, que je reçois pour un suivi psychologique dans le cadre de mes permanences psychologiques à France Terre d’Asile, Paris.

Mercredi 22 Octobre (14h) : Atelier 2 : Etudiants migrants

« Problèmes de l’intégration des étudiants chinois dans le cadre des études universitaires » – HUANG Guangling, Université de Poitiers, GRESCO

Les étudiants étrangers en France, comme une diaspora spéciale, subissent toujours des problèmes dans l’intégration, qui sont d’autant plus graves que la majorité de ces jeunes migrants n’ont pas de projet fixe d’immigration incitif pour leur insertion sociale. Le trajectoire des étudiants chinois en fait preuve. Originaires de la classe assez aisée en Chine, ils sont venus notamment avec des idées de retour. Toute difficulté rencontrée dans la vie leur fait faire des replis vers leur sphère close, qui aboutit certainement à l’isolement de la socitété française, et donc au retour rapide, même sans succès scolaire. Dans ce domaine, il manque une structure servant à les aider au sein de l’université.Ce qu’on cherche à travers ce mémoire, c’est une voie par laquelle les étudiants étrangers s’intègrent plus facilement.


« Enquête ethnographique sur les trajectoires scolaires et migratoires de “la jeunesse dorée” palestinienne » – BOUALAM Dalila, EHESS, IFPO

Notre recherche doctorale se donne pour objectif de répondre aux questions suivantes : qu’est-ce que veut dire être un-e jeune de classe sociale supérieure lorsqu’on vit dans les Territoires Occupés Palestiniens ? Dans quelle mesure les privilèges économiques, sociaux, symboliques et culturels dont ces jeunes disposent par rapport aux autres jeunes de leur génération, en font ou non une catégorie à part dans un contexte sociohistorique particulier qui est celui de l’occupation ? Dans quelle mesure cette jeunesse qui s’inscrit dans une double référence identitaire et culturelle (arabe et occidentale) se différencie (ou non) d’une jeunesse internationalisée classique ? Il s’agit dans cette thèse de décrire avec les outils du sociologue, combinant analyse d’enquêtes quantitative et ethnographique, la situation socio-économique et les trajectoires sociales et migratoires des membres (hommes et femmes) de cette « jeunesse dorée » palestinienne, dans l’environnement spécifique de ce pays à savoir un contexte politique instable, un État embryonnaire, et sous occupation israélienne. L’enquête ethnographique est menée sur plusieurs sites (Naplouse, Ramallah, Jérusalem), en raison de l’importance donnée aux configurations locales dans les hypothèses de recherche.

Notre contribution se concentrera ici sur les trajectoires scolaires et migratoires de ces jeunes vers l’Europe, en prenant en compte l’émergence d’une nouvelle catégorie dans les flux migratoires, la figure de l’étudiant migrant. A l’heure de la mondialisation économique et technologique et de l’accélération des réseaux transnationaux, l’étude des phénomènes migratoires est un objet d’étude important. La diversité des flux migratoires oblige à ne pas les considérer uniquement comme des flux de travailleurs, et de prendre en considération une nouvelle catégorie, celle de l’étudiant-e migrant. En effet, la mobilité internationale pour études constitue une réelle question d’actualité au regard de l’augmentation spectaculaire du nombre d’étudiants à l’étranger. En Palestine, lorsque l’université est devenue une université de masse, c’est l’émigration étudiante qui devient élitiste. Pour la population étudiée, partir pour étudier n’est pas de l’ordre du rêve, mais du projet. Les privilèges socio-économiques qui sont les leurs diminuent considérablement la contrainte des frontières et leur donnent un plus grand pouvoir de mobilité géographique, à l’intérieur mais surtout à l’extérieur des Territoires Occupés.

A travers une approche longitudinale, il s’agira ici d’examiner la mobilité internationale pour études de ces jeunes. A travers les propos recueillis auprès des jeunes migrants, il conviendra d’étudier le recours –quasi systématique- à la voie internationale dans leur parcours universitaire. Puis, nous verrons que parmi les projets migratoires de ces jeunes, le départ à l’étranger a une double caractéristique : d’une part, il est toujours envisagé en même temps que le retour et, d’autre part, il ne relève pas de la seule envie des jeunes mais fait l’objet d’une véritable planification familiale. Ces jeunes palestiniens participent peu à la fuite des cerveaux, dans la mesure où rares sont ceux qui projettent de s’installer définitivement à l’étranger. Par leur niveau d’étude, le capital social et symbolique accumulés (avant et après leur départ), les compétences et les expériences acquises à l’étranger, ces jeunes constituent une future élite transnationale. La migration ne serait donc pas un but en soi mais une étape obligée, avant de revenir dans les Territoires Occupés afin de contribuer à la construction nationale.


« Politiques migratoires européennes, ressources de reclassement socio-professionnel et trajectoires de la mobilité académique chez l’étudiant africain » – MELIKI Hugues Morell, Université de Yaoundé

Depuis 2004, le flux d’étudiants africains en partance pour l’Europe a chuté d’un tiers au profit du continent. L’Afrique de l’Ouest, les pays du Maghreb et l’Afrique du Sud matérialisent la nouvelle carte de la densification récente de la circulation intracontinentale des étudiants africains. Quatre pôles de restructuration du paysage universitaire africain permettent de rendre compte de cette dynamique nouvelle. D’abord, la double diplomation qui permet l’obtention d’un titre universitaire africain et européen depuis l’Afrique ; ensuite, les partenariats interuniversitaires qui autorisent à parachever une partie du cursus en Europe. De même, la présence de professeurs invités des prestigieuses écoles d’Europe et, enfin, les efforts d’investissement en infrastructures tout comme la simplification des procédures liées à la circulation interne des étudiants. Si ce mouvement peut paraître irréversible, il reste cependant que les statistiques de ces flux de déplacement intracontinental d’étudiants, en valeur absolue, sont de loin insignifiantes face aux chiffres des étudiants en direction d’Europe dans un contexte où un étudiant sur seize étudie hors du continent.

En explorant les récits biographiques de dix jeunes, parmi lesquels six enseignants qui accusent un passé migratoire, alors que les quatre autres sont encore en cours de finalisation de leurs thèses de doctorat, cette réflexion met en exergue l’instrumentation des itinéraires inédits de mobilité estudiantine. Le travail assume que, la croissance des flux migratoires estudiantins, à l’échelle continentale se comprend à travers la nouvelle critériologie d’émigration européenne mise en place après l’année 2000. Aussi, rendre compte du regain d’intérêt de certaines universités africaines, comme trajectoire attractive nouvelle pour la masse estudiantine locale, revient à questionner les ressources stratégiques engagées par l’Afrique et l’Europe. D’une part, l’université africaine est une nouvelle passerelle. Son attractivité pour les étudiants locaux s’inscrit dans une stratégie migratoire de transit reposant sur des titres scientifiques consacrés permettant de briser la barrière administrative sélective des candidats à l’émigration du vieux continent. D’autre part, l’Europe demeure le point de chute central visé par sa capacité à cumuler un ensemble de capitaux permettant aux étudiants, dans des sociétés verrouillées, de se (re)classer scientifiquement, socialement et professionnellement. C’est cette idée de l’université africaine comme point de transit vers le monde et de l’université européenne comme intégrée dans une démarche entrepreneuriale des étudiants africains que ce travail essaie de mettre en œuvre.


« L’Europe, nouvelle terre promise pour les jeunes Israéliens ? Expériences et sens des expériences migratoires en France et en Allemagne » – LAMARCHE Karine, LASSP

Depuis sa création en 1948, l’Etat d’Israël a accueilli plusieurs millions d’immigrants grâce à la loi du retour, qui permet à toute personne ayant des origines juives d’obtenir la citoyenneté de ce pays. Parallèlement, plusieurs dizaines de milliers d’Israéliens le quittent chaque année pour s’installer à l’étranger. Temporaires ou définitives, ces expatriations inquiètent beaucoup les autorités. En plus d’aggraver la « menace démographique » qui pèse sur le caractère juif d’Israël du fait du différentiel de natalité entre Juifs et Arabes (Della Pergola, 2011), elles viennent en effet mettre à mal l’un des principes sur lesquels s’est bâti Israël, à savoir la nécessité, pour le peuple juif, de disposer d’un foyer national lui permettant de ne plus vivre en exil où il eut à subir l’antisémite, les persécutions et une tentative d’extermination. La terminologie utilisée pour désigner les migrations des Juifs vers et depuis Israël rend d’ailleurs compte des représentations qui leur sont associées puisque l’immigration est appelée alya, (« montée » en hébreu) tandis qu’on parle de yerida (« descente ») à propos de l’émigration. Pendant longtemps, les yordim (« ceux qui descendent », c’est-à-dire les émigrés) étaient ainsi montrés du doigt comme des lâches abandonnant leur pays. Si le phénomène de l’émigration ne fait plus aujourd’hui l’objet d’un opprobre public comparable à ce qui s’observait dans les années 1970 et 1980 (Sobel, 1986 – Ritterband, 1986), il reste un sujet sensible, ce qui explique la difficulté d’évaluer son ampleur (Lustick, 2004). Le Bureau Central des Statistiques israélien estimait, en 2008, que plus de 750 000 Israéliens vivaient à l’étranger, soit 10% de la population totale du pays, parmi lesquels 450 000 en Amérique du Nord (Alon, 2003 – Gur Rettig, 2008). Ce dernier chiffre explique que la plupart des travaux sur l’émigration israélienne concernent les Etats-Unis et, dans une moindre mesure, le Canada (Gold, 2002 – Rebhun et Lev Ari, 2010). J’ai pour ma part choisi de m’intéresser, dans le cadre d’un post-doctorat, aux Israéliens expatriés en Europe, et plus particulièrement en France et à Berlin : dans le premier cas, car je dispose déjà de nombreux contacts à Paris, Marseille et Strasbourg ; dans le second, parce que 20 000 à 30 000 Israéliens se sont installés à Berlin ces dernières années, attirés par la réputation de ville branchée et les loyers attractifs de la capitale allemande. Plus généralement, il m’a semblé intéressant de choisir des pays non-anglophones où l’installation semble de fait moins évidente pour des Israéliens que dans des pays anglophones d’un point de vue strictement linguistique.

Ma communication aura pour objectif de présenter les premiers résultats de cette recherche post-doctorale, qui s’appuie sur des entretiens biographiques en cours de recueil avec des Israéliens installés en France et en Allemagne et sur une enquête ethnographique prévue au mois de septembre à Berlin. Pourquoi et comment ces jeunes (la plupart des migrants israéliens sont, si j’en crois mes premières observations, âgés d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années) appartenant à la classe moyenne laïque, ont-ils quitté leur pays pour l’étranger ? Comment s’imbriquent les motifs économiques, personnels ou encore professionnels dans leur choix de partir et dans leur décision de rester en Europe ? Dans quelle mesure la situation géopolitique de leur pays, la politique de ses gouvernements successifs vis-à-vis des Palestiniens et le poids de l’idéologie militaro-sioniste sont-ils intervenus dans leur volonté de s’expatrier et quel rôle jouent-ils dans leurs expériences migratoires en pays d’accueil ? A quelles conditions un départ initialement envisagé comme temporaire devient-il définitif ? C’est à ces questions exploratoires et à celles qui émergeront de l’analyse de mon matériau que cette communication se propose d’apporter de premières réponses.

Mercredi 22 Octobre (14h) : Atelier 3 : Migrations et entrée dans l’emploi

« Les effets des expériences à l’étranger en cours d’études sur l’insertion : quelques résultats issus de l’enquête Génération 2010 » – CALMAND Julien, CEREQ

Depuis la déclaration de Bologne en 1999, la mobilité internationale des étudiants en cours d’études est au cœur des objectifs fixés par l’UE dans le cadre des « flagship 2020 ». Dans un rapport intitulé « Jeunesse en mouvement, une initiative pour libérer le potentiel des jeunes aux fins d’une croissance intelligente, durable et inclusive dans l’Union européenne » la commission européenne indique que « d’ici 2020, tous les jeunes d’Europe devraient avoir la possibilité d’accomplir une partie de leurs études à l’étranger, y compris une formation en milieu professionnel » afin « d’améliorer leur employabilité » et « d’acquérir des compétences professionnelles » tout en devenant des « citoyens actifs ». La plupart des études en France s’attachent à décrire la question de l’intérêt des mobilités internationales telles qu’elles sont perçues par les étudiants (Murphy-Lejeune, 2003) mais aussi les raisons de la mobilité et du retour vers le pays d’origine (Ennafaa & Paivandi, 2008). Cependant très peu d’analyses en France se concentrent sur la plus-value de ces expériences sur le devenir professionnel, alors même que des travaux au niveau européen existent. Ainsi dans un article paru dans la revue Formation Emploi du Céreq, Harald Schumburg et Ullrich Teichler (Schomburg & Teichler, 2008) ont analysé le rapport entre mobilité en cours d’études et insertion professionnelle grâce aux données européennes CHEERS (Careers after Higher Education : a European Research Study) et REFLEX (The Flexible Professional in the Knowledge Society New Demands on Higher Education in Europe). Les auteurs montrent que « la mobilité et l’acquisition de compétences nécessaires à la mobilité sont souvent considérées comme des facteurs importants pour les activités réalisées dans leur pays d’origine, puisque les compétences en langues étrangères, la connaissance des autres pays et la compréhension du monde international sont utiles ». De même selon eux, « la mobilité à l’international et l’apprentissage international dans le pays d’origine peuvent également améliorer les compétences des étudiants et les performances professionnelles en général des diplômés, en renforçant par exemple leur maturité grâce à la prise en charge de tâches imprévues ». De plus, plusieurs papiers mettent aussi en évidence une relation positive entre expériences internationales en cours d’études et rendement salarial (Messer & Wolter, 2005, Cammelli, Ghiselli, & Mignolli, 2006) tandis que d’autres aspects tendraient à relativiser ce lien causal. Comme l’expliquent Parey et Waldinger (Parey & Waldinger, 2008), les étudiants qui décident suivre des études à l’étranger présentent à l’origine des caractéristiques très différentes de celles des jeunes réalisant la totalité de leur cursus dans leur pays d’origine. Les étudiants mobiles ont des profils sociodémographiques privilégiés, de meilleures notes dans l’enseignement secondaire, de meilleures compétences en langue et ont souvent connu des mobilités internationales avant leur entrée dans l’enseignement supérieur. Du fait de cette hétérogénéité non observée, il devient difficile d’isoler les effets propres de cette expérience à l’étranger. C’est ce que nous tenterons de faire dans le contexte du système éducatif français. Dans ce papier, nous aborderons les effets sur les débuts de vie active des expériences internationales en cours d’études des sortants du système éducatif français. Nous utiliserons les données de l’enquête « Génération 2010 » qui permet d’étudier les trois premières années de vie actives des jeunes ayant terminé leurs études en 2010 et interrogés en 2013. Dans cette enquête un module intitulé « séjours à l’étranger » nous fournit des informations sur ces expériences à l’étranger en cours d’études. Au-delà des statistiques descriptives, nous essaierons, grâce à des analyses toutes choses égales par ailleurs, de déterminer qui sont les jeunes qui ont accès à ce type de mobilité, enfin nous étudierons la plus-value de ces expériences sur leur parcours d’insertion, en contrôlant au maximum de l’hétérogénéité non observée.


« Parcours professionnel et situation dans l’emploi des jeunes migrants et des jeunes descendants d’immigrés » – BRINBAUM Yaël, OKBA Mahrez, PRIMON Jean-Luc, CEE et INED, DARES, URMIS

L’objectif de cette communication est d’analyser le parcours professionnel (emploi, chômage, etc.) et la situation dans l’emploi (contrat de travail, temps de travail, etc.), des jeunes migrants en les comparant au parcours et à la situation des descendants d’immigrés du même âge (35 ans et moins) et d’une même origine migratoire. La première catégorie de population (les jeunes migrants) se compose des jeunes nés étrangers à l’étranger qui ont été ou non socialisés et scolarisés dans l’espace français ; la deuxième catégorie (les descendants d’immigrés) regroupe les personnes nées en France d’au moins un parent immigré. Dans l’analyse, nous nous efforcerons de saisir la dynamique professionnelle des jeunes migrants en lien avec leur parcours migratoire (provenance, âge d’arrivée en France, pays de scolarisation, titre de séjour, etc.) pour les comparer aux descendants d’immigrés, mais sans négliger pour autant les caractéristiques sociodémographiques qui influent habituellement sur les parcours et les situations dans l’emploi (sexe, diplôme, origine sociale, statut d’activité des parents, zone de résidence, etc.).

Dans cette optique, nous chercherons à savoir si une histoire migratoire et un espace de socialisation différents contribuent à construire des trajectoires socio-économiques séparées ou si la tendance est plutôt à l’indifférenciation des destinées sur le marché du travail, lorsque les origines migratoires sont communes. Par exemple : une scolarisation précoce dans le système éducatif français (enseignement primaire) contribue-t-elle à rapprocher les parcours professionnels des jeunes migrants et des jeunes descendants ? A niveau de formation équivalent, observe-t-on des parcours professionnels différenciés ou des écarts de situation dans l’emploi entre jeunes migrants et jeunes descendants d’immigrés de même origine ? Au vu du parcours professionnel et de la situation dans l’emploi des jeunes migrants et des jeunes descendants, au terme de notre étude nous nous interrogerons sur la pertinence sociologique d’une définition et d’une distinction des catégories de population à partir des seules données d’état civil (lieu et pays de naissance des personnes).

L’analyse empirique s’appuie principalement sur les données nationales de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) réalisée fin 2008 par l’INED et l’INSEE sur les immigrés et les descendants d’immigrés et effectuée auprès de 22 000 personnes en France métropolitaine. L’enquête vise notamment à décrire et à analyser les conditions de vie, l’emploi, les trajectoires sociales, etc. des individus, en fonction du lien plus ou moins récent à la migration. Dans l’échantillon, les descendants d’immigrés interrogés sont âgés de 18 à 50 ans et sont au nombre de 8200 ; les immigrés comptent pour 8500 et sont âgés de 18 à 60 ans*.

Notre étude portera exclusivement sur des personnes ayant terminé leurs études et étant âgées de 18 à 35 ans. L’analyse des parcours professionnels se basera sur les données d’un calendrier professionnel qui détaille annuellement les situations d’activité à partir de la fin de la formation initiale où dès l’arrivée en France pour les immigrés non scolarisés dans le pays d’immigration. La situation dans l’emploi, se réfèrera à la situation sur le marché du travail à la date de l’enquête (2008).


« The skilled migration for work of young people from Molise » – MATTIA Vitiello, Istituto di Ricerche sulla Popolazione e le Politiche Sociali

This paper aims to identify, describe and explain the trajectories of mobility of young graduates of Molise, an Italian southern region. Particularly, their dynamics and their mechanisms. Furthermore, the individual reasons and social factors in the configuration of these trajectories of mobility. Here with territorial mobility we intend a moving in different places than the place of habitual residence. Mobility is a property. The condition of what may be moved : work, therefore, the transfer of labor force. The study of these migratory movements was conducted through the analysis of the life course of young people from Molise. In particular, it has been used the instrument of biographical interview focused. The research questions are : which are the mechanisms that govern the trajectories of territorial mobility of young people from Molise ; the weight of the context and of the individual choices. Why and when mobility becomes migration. It is an irreversible process.


« Imaginaires migratoires et image de soi dans la migration des jeunes européens vers le Proche-Orient » – CHAVENEAU Clio, Université Paris Descartes, CEPED

La mondialisation et l’évolution technologique des moyens de transports et de communications, ont fait apparaître de nouveaux processus migratoires ayant pour acteurs les populations des pays développés. En quelques décennies, l’expatriation et les circulations transnationales des citoyens des pays du Nord se sont intensifiées et les destinations multipliées. Sans être massive, l’expatriation européenne est significative. Ces migrations affectent à la fois les pays de départ (avec la réorganisation du système politique par exemple) et les pays d’accueil (gestion d’une population étrangère). Les migrations Nord-Sud pensées dans leurs diversités et leurs complexités, ouvrent de nouvelles perspectives de recherche dans le domaine des études sur les migrations et nous invitent à penser la manière dont la migration va être pensée par les jeunes européens dans leurs trajectoires. Mon terrain de recherche doctorale, les Territoires Palestiniens, est une destination privilégiée pour étudier les trajectoires, les « carrières » Internationales -ou internationalisées- des jeunes diplômés occidentaux. En effet, depuis 1993, l’investissement financier massif de la communauté internationale dans des projets d’aide et développement pour la construction d’un Etat palestinien à fait émerger « un marché du travail » pour les étrangers diplômés ; amenant ainsi des centaines d’occidentaux à vivre dans les Territoires Palestiniens. Cependant, à une analyse des carrières et des choix professionnels effectués par ces jeunes diplômés, il faut ajouter une dimension personnelle, plus subjective dans le choix du départ. Le séjour à l’étranger, l’expatriation est de plus en plus valorisé dans les pays européens au sein des classes moyennes. Le séjour à l’étranger serait-il un nouveau modèle social de référence d’une certaine jeunesse européenne ? Auprès de mes enquêtés, on voit clairement que l’aspiration à vivre une expérience à l’étranger, une aventure, un voyage particulier va jouer un rôle important dans la prise de décision au départ pour la Palestine. Ainsi, afin de dépasser l’unique perspective économique sur ces migrations privilégiée, je mobilise le concept d’ « imaginaire migratoire » pour analyser le choix du départ de ces jeunes diplômés européens. L’imaginaire est le fruit de l’imagination d’un individu, d’un groupe donné ou d’une société qui produit des images, des représentations, des récits plus ou moins détachés de la réalité. Dans le processus migratoire, l’imaginaire intervient à deux stades : celui de la migration elle-même, et celui de la destination. Le potentiel/futur migrant va avoir des images, des représentations du fait même de migrer (le voyage en lui-même, les difficultés et joies à rencontrées, les changements qui vont s’opérer sur lui, le nouveau statut social qui va lui être attribué dans son pays d’origine et dans son pays d’accueil, etc.). L’imaginaire va aussi jouer sur le choix de la destination, sur le mode d’appréhension de celle-ci. Dans le cas de mon terrain d’étude, la Palestine et le Moyen-Orient sont entourés d’un imaginaire bien particulier qui va façonner le choix du départ. La septième rencontre Jeunes et Sociétés, autour du thème « Jeunes migrants vers, en et depuis l’Europe » sera l’occasion pour moi de présenter une migration Nord-Sud et de penser un concept habituellement utilisé pour les migrations vers l’Occident.


« Jeunes Français au Québec : une immigration réversible ? » – PAPINOT Christian, Université de Poitiers, GRESCO

Terre d’immigration, le Québec accueille chaque année entre 45 000 et 50 000 immigrants dont la venue est encouragée afin d’endiguer le vieillissement de la population, la dénatalité et la pénurie de main d’œuvre. Les critères de sélection des immigrants au Québec visent à favoriser la venue d’immigrants francophones et de fait les Français y composent la première communauté nationale.

Dans le contexte de chômage de masse persistant et de difficulté d’insertion professionnelle que connaît la France, de plus en plus de jeunes font le choix d’un début de vie active à l’étranger qui commence dans de nombreux cas avec les études. Le Québec fait partie de ces destinations privilégiées. Ceci tient bien sûr à une certaine proximité culturelle présumée entre la France et le Québec. Or, si nous partageons une même langue et si la France et le Québec sont liés par des fragments d’histoire commune, le Québec n’est pas, pour le dire d’une formule, un « coin de France en Amérique » et les premiers pas des jeunes Français sur le marché du travail québécois sont jalonnés de découvertes, de surprises, voire de déconvenues.

Après une présentation de la politique d’immigration sélective du Québec, on analysera dans cette communication, à partir d’une enquête récente sur les trajectoires d’insertion professionnelle des jeunes Français au Québec, les particularités de cette « immigration » des jeunes Français au Québec.

Contrairement à bien d’autres communautés nationales en effet, l’option du retour est rarement exclue sans être nécessairement toujours synonyme d’échec, la période de vie au Québec pouvant alors prendre le sens d’une « parenthèse biographique » et/ou d’une capitalisation d’expérience à l’internationale… Comment convient-il alors de qualifier cette expérience d’expatriation ?… Les concepts d’émigration et d’immigration n’induisent-ils pas l’idée d’irréversibilité dans les mobilités internationales ? En tout état de cause, les expériences d’expatriation des jeunes Français au Québec s’affranchissent de toute signification univoque préconstruite, y compris après la longue procédure d’obtention de la citoyenneté canadienne.

De fait cependant, ils se découvrent bien comme immigrants en arrivant au Québec et ont parfois du mal à accepter la place qui leur est assignée dans la société québécoise. De toutes les communautés étrangères, les Français forment cependant une population plutôt favorisée. Ils ne rencontrent pas de grosses difficultés économiques, ont le taux de chômage le plus bas et le niveau de revenu le plus élevé de l’ensemble des communautés étrangères au Québec. Contrairement à d’autres immigrants, ils sont peu touchés par la désaffiliation sociale. Mais au fond, ce qui les distingue le plus des autres, c’est peut-être tout simplement qu’ils ne se pensent pas spontanément dans une démarche d’immigration et ont du mal à s’identifier à un groupe minoritaire. La conception de la société dans laquelle ils ont été socialisés est peu congruente en effet avec la structuration de la société canadienne en communautés culturelles dûment constituées. Aussi, ce qui relève de la configuration normale d’une société multiculturelle comme le Canada se présente en porte-à-faux par rapport à leurs schèmes incorporés de modèle d’ « intégration à la Française », bannissant toute mention ethnique ou particulariste et reposant, depuis la Révolution française, sur la disparition des corps intermédiaires et le lien direct entre l’individu et l’Etat-nation.

Mercredi 22 Octobre (14h) : Atelier 10 : Jeunesses et genre

« Jeunes migrants et construction des masculinités. Le cas d’une population de jeunes adultes marocains en France » – FIDOLINI Vulca, Université de Strasbourg, CNRS

Les dynamiques de l’identification de genre se configurent de plus en plus en tant que terrain d’étude des migrations. Dans cette proposition de communication je souhaite développer une réflexion sur la construction de l’idéal masculin chez une population de jeunes adultes marocains, musulmans, immigrés en France (et notamment en Alsace) en étudiant les récits de leurs expériences sexuelles vécues dans la période préconjugale.

Cette communication s’appuie sur un corpus de trente entretiens semi-dirigés menés auprès d’une population de jeunes hommes âgés de 20 à 30 ans, nés au Maroc, et plus précisément dans les centres urbains du pays, étudiants universitaires, arrivés en France seuls ou avec leur famille alors qu’ils avaient entre 15 et 22 ans. Les entretiens ont été précédés et accompagnés par un long travail d’observation ethnographique. Cela m’a notamment permis de gagner la confiance de ces jeunes afin de pouvoir traiter dans le cadre d’entretiens « formels » un sujet aussi intime que celui de leur vécu sexuel. Cette démarche a été caractérisée par la présence constante du chercheur auprès des personnes interrogées à des moments différents de leur vie quotidienne. En effet, il s’agissait de passer avec eux, en groupe ou individuellement, le plus de temps possible : à l’extérieur ou dans les espaces domestiques, dans les lieux de sociabilité ordinaire et festive (cafés, boîtes de nuit, terrains de football, résidences universitaires, etc.).

J’analyserai les récits de leurs expériences sexuelles, et notamment hétérosexuelles, tout en focalisant l’attention sur la période prémaritale. Cette phase, en effet, me semble particulièrement intéressante car elle conduit ces jeunes à se confronter avec l’expérience de la sexualité en dehors du cadre licite du mariage musulman redéfinissant aussi les formes d’expression de leur masculinité. Je montrerai d’abord les différentes formes d’expression des masculinités en fonction de divers scénarios sexuels construits par ces jeunes en milieu migrant. Le regard sera focalisé sur le caractère changeant attribué au rôle d’homme en fonction des partenaires sexuelles et des modèles hégémoniques masculins de référence. Ensuite, je décrirai comment ces idéals masculins se définissent notamment par la valeur conférée au mariage et à la construction du « chez-soi », tout en renforçant une représentation normative de la pratique sexuelle liée au cadre de l’union religieuse avec sa femme. Cela m’amènera à observer comment les processus de construction de la masculinité jouent un rôle décisif dans la gestion individuelle d’injonctions contradictoires à la sexualité en façonnant les parcours de la transition vers l’âge adulte des jeunes interrogés.

Trois questions centrales guideront notre parcours : le rapport que chaque jeune homme construit aux normes de l’identification de genre, à sa condition de migrant, et au passage vers les rôles adultes. Je chercherai alors à montrer comment ces trois sphère se définissent de manière à la fois plurielle et complémentaire afin de gérer le double horizon entre ici et là-bas et la phase délicate de la transition vers l’âge adulte.


« La contraception peut-elle être une affaire d’hommes ? Représentations et pratiques de la contraception chez les jeunes hommes » – CHIHI Aziza, Université de Poitiers, GRESCO

Ma communication s’inscrit dans l’axe du colloque concernant « les jeunes et la question du genre ». En se fondant sur une enquête qualitative, que je réalise dans le cadre de ma thèse qui porte sur « La fréquence des IVG chez les mineures. Analyse sociologique des stratégies préventives en matière d’information et d’éducation », la gestion de la contraception apparaît comme un enjeu dans la sphère privée où se jouent des rapports de domination entre garçons et filles. Cette communication s’attache donc à mettre en perspective les résultats d’une enquêtes menée auprès de jeunes hommes scolarisés dans des lycées d’enseignement général, professionnel et ceux scolarisés dans les maisons familiales et rurales, ainsi qu’auprès de professionnels de santé, afin d’éclairer les formes d’implication des jeunes hommes dans la contraception. Dit autrement la contraception est-elle une prérogative « féminine » relevant uniquement des compétences des jeunes filles ? Les premiers résultats de l’enquête permettent de mieux comprendre les mécanismes qui structurent l’implication ou non des jeunes garçons dans le choix et la gestion de la mise en pratique d’une contraception. Enfin ces résultats aident à construire le parcours et le rapport des jeunes garçons à la contraception en articulation avec les pratiques familiales socialisatrices.


« Suicides pendant le service militaire grec : quand la masculinité tue » – DRONGITI Angeliki, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, CSU-CRESPPA

L’armée de terre grecque constitue une des dernières armées européennes qui fonctionne avec un service militaire obligatoire. Les Grecs de l’âge de 18 à 45 ans doivent s’enrôler pour une période de 9 mois. Cette étape est construite comme obligatoire au niveau du droit constitutionnel mais également au niveau de la vie sociale et elle est limitée aux seuls garçons. Pour qu’un jeune Grec puisse travailler, il faut qu’il ait accompli ses devoirs militaires. Parallèlement, le suicide est un phénomène assez fréquent au sein de l’armée de terre grecque. Selon le Comité de Solidarité aux enrôlés (Spartakos), il y aurait 6 fois plus de suicides au sein de la caserne que dans la société civile. On parle d’une tentative tous les 15 jours. L’enjeu de cette communication est donc de répondre à la question (paradoxale) suivante : comment une institution qui se donne pour objectif de fabriquer « les vrais hommes » provoque par ailleurs des suicides dans ses rangs ? Je vais développer des éléments de réponses qui ont trait aux exigences de genre telles qu’elles sont imposées aux soldats de l’armée de terre grecque. Les officiers ne cessent de mentionner qu’ils sont responsables « d’enfants » qui ne deviendront des hommes que sous leur direction. La caserne est, donc, un lieu de socialisation au genre masculin, séparée physiquement de la société mais intégrée dans son champ social. Ici les fantassins sont sommés d’apprendre leur rôle masculin et de faire leurs preuves en réalisant des tâches domestiques quotidiennes, des activités corporelles extrêmes et en supportant une pression psychologique forte (brimades, changements de tâches, sanctions, challenges et ordres). Afin de produire une démonstration solide, je mobilise le cadre théorique d’Émile Durkheim sur le suicide comme résultat de la socialisation que je confronte à la théorie d’Erving Goffman sur les institutions totalitaires.

Mon enquête, menée depuis 2010, mobilise plusieurs méthodes et les matériaux produits sont constitués d’une mosaïque de données complémentaires (entretiens, archives, statistiques) afin de pouvoir analyser ce phénomène. Cette pluralité des méthodes et matériaux résulte de plusieurs difficultés d’accès au terrain. D’abord en tant que femme, je suis directement exclue de ce monde d’hommes. En tant que civile, je me trouve confrontée à un espace constitué comme une microsociété qui refuse les intrusions extérieures au nom de la protection de plans stratégiques nationaux, des moyens de guerre et même de la lutte contre l’espionnage. En outre, le suicide est un tabou en soi et particulièrement au sein de l’armée où il devient un sujet intouchable. Dans le cadre de cette communication, je vais m’appuyer particulièrement sur des entretiens semi-directifs menés auprès de soldats ayant commis une tentative de suicide, mais aussi avec des soldats, des officiers et des sous-officiers ayant vécu le suicide d’un soldat (ou un co-soldat) et des psychiatres de l’armée. J’utilise également des extraits de données statistiques obtenues de l’état-major de l’armée de terre grecque du Service Hellénique de Statistiques, et de sources alternatives (Comité de solidarité aux enrôlés – Spartakos, Association des Objecteurs de Conscience, Association de parents dont les enfants se sont suicidés ou sont morts pendant leur service militaire – Nikiforos).

Je défends trois arguments principaux : le premier regarde la procédure paradoxale de masculinisation au sein de la caserne, le deuxième étudie les facteurs du suicide liés au genre dans cette période et le dernier explique le suicide comme résultat des exigences sur le rôle masculin cette fois au prisme de la société grecque. Les caractéristiques principales du service militaire sont : une rupture avec la vie civile, un arrêt de toutes les activités civiles antérieures, un programme quotidien des tâches à accomplir entièrement établi par les supérieurs de l’armée, des brimades psychologiques et corporelles, l’isolement, l’enfermement, les sanctions en cas de non soumission, une standardisation de l’apparence extérieure et des manipulations d’armes. Cette formation a un caractère paradoxal comme Anne-Marie Devreux l’a montré : le service militaire construit de « vrais » hommes tout en les obligeant à prendre la « place » des femmes. Ils effectuent sans cesse des travaux domestiques dits « féminins » – faire le ménage, faire son lit, ranger ses affaires, suivre des ordres des hommes, autant d’activités qui sont considérées en dehors de la caserne comme des activités/obligations féminines. L’armée impose ces activités mais ce rite de passage d’un âge à l’autre, de la vie adolescente à la vie adulte, de la puberté à la maturité, est déjà périmé selon Marc Bessin. Car, avant d’entrer dans le camp, le soldat a déjà expérimenté le rôle masculin, il est déjà dominant dans la vie sociale. Il fait des études, il a des rapports sexuels, il fume, il travaille : pour lui il n’est pas nécessaire d’apprendre à pratiquer sa masculinité. Ainsi, le service perd son caractère éducatif et contrairement au but recherché, cette socialisation de genre provoque une déstabilisation du rôle. Ce que Goffman appelle une perte de soi. La remise de soi à l’institution militaire est contrebalancée par les contacts que l’incorporé entretient à l’extérieur avec sa famille, ses ami-e-s et bien évidement avec sa petite amie. Le fait que la plupart des suicides aient lieu après la fin d’une relation intime est le signe d’une perte de masculinité, de la perte de l’identité masculine. En arrivant au camp, les soldats quittent, au seuil de la caserne, leur contrôle de soi et leur autodétermination, leur barbe, leur coiffure, leurs vêtements, leurs manières de se distinguer et de se définir parmi les autres. Les soldats auprès de qui j’ai mené des entretiens se voient comme une rivière kaki en portant tous le même uniforme. Un homme déprimé, mal placé et mal à l’aise dans une institution sans sens, dominé et fatigué par les brimades et des épreuves de genre quotidiennes, assez schizophréniques, peut mettre fin à ses jours au moment où intervient une rupture sentimentale avec sa petite amie. La copine n’est pas seulement une connexion avec la vie civile, ni exclusivement une manière d’organiser la sortie future, elle constitue aussi la figure rassurante de sa propre masculinité. Avoir une femme dans sa vie signifie être un homme. Perdant cette planche de salut de la virilité, il ne reste que soi à éliminer. Selon la théorie de Durkheim, on peut dire qu’on observe ici une régulation forte. La hiérarchie militaire contrôle les pensées, les réactions, les positions corporelles et elle modère les passions et les désirs des soldats. Via cet entrainement, ces brimades et ces stratégies de dégradation du soi, elle se désigne comme l’autorité légitime nécessaire pour l’existence du groupe. Elle a un rôle modérateur sur l’existence de l’individu. On voit, alors, selon la théorie de la socialisation de Durkheim et, en extension, selon sa typologie du suicide, que le suicide pendant le service militaire obligatoire en Grèce relève du suicide fataliste. Il faut introduire un autre élément du contexte militaire : à côté des brimades, il y a une autre pression sociale qui découle du stress des changements sociaux. L’individu perd l’envie de vivre : il ne donne plus de sens à sa vie et son estime de soi diminue dans la caserne. La réalité militaire est une réalité dure, mais elle protège le soldat des nouvelles responsabilités qui surviendront dès son entrée dans la société. En suivant les changement de rôles, civil- soldat-civil, malgré ce rite de passage périmé, le retour vers la vie civile n’est pas une affaire neutre. Le jeune homme ne sera plus le même car pour ses proches, pour sa famille et pour la société grecque, il sera enfin capable de travailler et de devenir responsable de sa vie. Les individus qui ne sont pas encore passés sous le drapeau se considèrent comme de futurs soldats et pas comme de jeunes hommes travailleurs. Ce n’est pas que les soldats se sentent plus matures ou plus prêts à travailler, c’est que l’égard de la société est tel. Les autres attendent qu’il soit changé mais lui-même ne comprend ces nouvelles exigences. L’appelé s’attache alors au rôle du soldat et se suicide par crainte et, en même temps, par désespoir de l’avenir. C’est comme si le fantassin restait conformé à ce nouveau rôle qu’il a « appris » avec difficulté et qu’il n’arrive plus à se décrocher de l’institution. Je suppose, alors, que la fin de ses jours résulte alors d’une intégration sociale au groupe militaire, comme Durkheim l’a écrit (suicide altruiste). Je vais donc montrer que les exigences du rôle masculin telles qu’elles sont reproduites au sein de l’armée de terre grecque, peuvent provoquer des comportements suicidaires chez les jeunes hommes grecs. Selon, la typologie durkheimienne nous avons à la fois un suicide fataliste et un suicide altruiste qui est lié au genre masculin de deux point de vue : un qui a à faire avec la procédure elle-même (brimade, pression psychologique, perte de masculinité) et un qui correspond aux exigences futures du rôle masculin après la fin du service.


« Violence, harcèlement et empathie à l’école, le point de vue des filles, le point de vue des garçons » – KERIVEL Aude, ITS Tours, LERFAS

Cette présentation expose les résultats d’une enquête visant à recueillir l’expérience de violences et de harcèlement, d’une part, et d’empathie, d’autre part, chez des enfants âgés de 9 à 11 ans, en classe de CM1, puis CM2. La recherche dont nous rendons compte ici s’inscrit dans une démarche d’enquête s’appuyant sur la théorisation enracinée. En effet, nous avons adopté une approche partant du regard et de l’expérience des acteurs (adultes et enfants), au sein d’une vingtaine d’écoles, de la relation terrain-théorie ainsi que de « l’attention portée à ce qui émerge du terrain (ou des acteurs qui vivent les phénomènes) » (Guillemette, 2006, p.32). Ce faisant, nous avons été incitée à explorer et à proposer une certaine innovation à travers la méthode sociologique. Le choix de la Méthodologie de la Théorisation Enracinée (MTE) pour l’enquête en question s’appuie sur plusieurs éléments qu’il convient d’expliquer. D’abord, il s’agit ici de l’évaluation d’une expérimentation dans le cadre d’une politique publique qui a pour objectif de lutter contre les situations de harcèlement à l’école. Notre posture est donc celle d’un évaluateur qui apprécie une expérimentation et ses effets sur la population. L’hypothèse à l’origine de l’expérimentation est la suivante : éduquer les enfants (de CM1-CM2) à l’empathie permettrait de faire baisser le nombre de situations de harcèlement à l’école. Notre travail de recherche va donc mettre en lien deux concepts qu’il s’agit de manier avec précaution : le concept de harcèlement à l’école et celui d’empathie . Des notions d’autant plus complexes à traduire en indicateurs lorsque la population est constituée de 400 enfants entre 9 et 11 ans répartis dans une vingtaine d’écoles. Nous nous proposons ici de présenter le travail méthodologique en cours visant à trouver le moyen de recueillir les expériences d’enfants en évitant au maximum tout phénomène d’imposition de la part du chercheur. Il s’agit donc d’oublier un moment les définitions théoriques ou académiques du harcèlement à l’école et de la violence pour entrer dans les visions du monde des enfants, entendre leurs mots, leurs souffrances, leurs expériences, les enjeux qui sont les leurs.

Les questions principales que nous cherchons à explorer auprès des élèves des classes concernées sont les suivantes : Concernant les situations de violence et de harcèlement : Quelles sont les expériences de violence exprimée par les enfants ? Des expériences de harcèlement à l’école sont-elles repérées par les enfants (auteurs, témoins, victimes) ? Les enfants se sentent-ils en sécurité dans la classe, dans l’école, pourquoi ? Quelles sont les réactions des enfants lorsqu’ils vivent des situations de violences ? Font-ils appel à l’adulte ? Pourquoi ? Concernant la compétence sociale à l’empathie, il s’agira de repérer la capacité des élèves à : Se mettre à la place de l’autre ; Nommer leurs émotions ; Réagir à l’émotion de l’autre ; Se mettre à la place d’autrui ; Considérer les dommages causés à la victime ; Considérer les conséquences de leurs actes.

A partir d’un travail mêlant observations, entretiens in situ dans les classes et passage d’un questionnaire ludique auprès de l’ensemble des élèves, nous présenterons nos premiers résultats et la différence très marqué entre les représentations et expériences de violence, d’exclusion, de harcèlement des filles et des garçons. Les raisons de ces situations, réactions face à elles, émotions, et tentatives de réactions diffèrent sensiblement et c’est ce que nous tenterons de mettre en avant. Le questionnaire passé afin de ne pas biaiser les réponses des enfants, s’appuie sur l’utilisation de dessins, laissant ainsi une place importante à l’univers des enfants. Ce sont ces éléments que nous restituerons dans cette présentation.


« Risky sexuality under the influence of stimulant substances. A social study representation » – NAVALON MIRA Alba, Université d’Alicante

Introduction. Psychoactive substances consumption is one of the most important public health problems in Western society, producing psychological disturbances, relationship conflicts and behavioral disorders.

Objective. To characterize and analyze the social behaviors that the university students actually have regarding the influence of drugs consumption in sexual practices and it’s physical and social consequences.

Methodology. A descriptive transversal study has been carried out by using the qualitative methodology in university students, between the ages of 18-24, from the province of Alicante (Spain). For the recruitment of the college students the snowball technique was used. The data was obtained through focus group and deep interviews, during October of 2013 and May of 2014.

Hypothesis. The college students consider that drugs allow them to archieve sexual objectives, but they also have a negative influence in their sexual practices, contributing to risk factors.

Key words : social representation, young university student, recreational use of drugs, sexual practices and risk behaviors.

Mercredi 22 Octobre (14h) : Atelier 11 : Formation professionnelle et insertion

« Après la réforme du bac pro en trois ans : nouvelles aspirations et ouverture des possibles pour les élèves de l’enseignement professionnel » – BERNARD Pierre-Yves, TROGER Vincent, Université de Nantes, CREN

La communication présentée ici s’appuie sur les résultats de deux enquêtes menées en Pays de Loire de 2009 à 2013 auprès de deux cohortes de lycéens de bac pro (N1 = 465 et N2 = 532). Cette recherche visait à comprendre le sens donné à l’expérience de l’enseignement professionnel par les élèves inscrits dans le nouveau cursus du bac pro en trois ans (BP3), qui s’est substitué à la rentrée 2009 à l’ancien cursus en quatre ans. Il s’agissait d’appréhender cette nouvelle expérience scolaire en articulant les analyses des attentes des élèves à l’entrée de leur cursus, du vécu de leur formation au cours de son déroulement, et des orientations prises après le baccalauréat. Nous avons choisi d’insister ici sur cette dernière dimension de la recherche. Nous avons donc mobilisé d’une part les résultats de la seconde enquête sur les demandes d’orientation post bac des élèves de terminale professionnelle entrée en seconde en 2009, et d’autre part l’analyse des quarante-huit entretiens semi-directif conduits au cours de cette enquête, dont dix-sept en 2013 avec des bacheliers poursuivant des études supérieures, pour la grande majorité en BTS.

L’enquête de 2012 sur les projets d’orientation des élèves de ce nouveau cursus a confirmé les données enregistrées par la première enquête de 2009. Alors que 59% des élèves du premier panel avaient déclaré dés leur entrée en seconde professionnelle vouloir continuer une formation après le baccalauréat, 61% confirmaient ce projet en 2012. Dans le cursus antérieur en quatre ans, en moyenne à peine plus de 20% des bacheliers professionnels tentaient de poursuivre leurs études après le baccalauréat. En ouvrant la possibilité de l’accès au baccalauréat à la totalité des élèves de LP et en réduisant la durée du cursus à trois ans comme pour les autres baccalauréats, la réforme a donc largement élargi la possibilité de poursuite d’études post-bac pour ces élèves. Pour s’assurer que le niveau élevé de projets de poursuite d’études était bien une conséquence de la réforme du BP3, nous avons intégré dans le panel de 2012 des élèves issus de l’ancien parcours en quatre ans (qui étaient entrés en seconde en 2008, avant la réforme). Dans l’échantillon interrogé, 65,5 % des élèves de BP3 souhaitent poursuivre leur formation après le bac, contre 46,9 % des élèves ayant suivi l’ancien cursus. Une analyse par régression logistique montre qu’en contrôlant les caractéristiques scolaires et socioéconomiques des élèves la relation entre le parcours et le projet d’orientation reste très significative. Cette première partie de l’enquête montre donc clairement que la réforme du BP3 ouvre un nouveau champ de possibles pour les publics qui obtiennent le baccalauréat.

Ce que révèlent ensuite les entretiens, c’est que cette appropriation de la réforme par les élèves de LP et leurs familles relève de dimensions stratégiques. Contrairement à ce que laisse penser une représentation de leur scolarité comme un parcours totalement subi, il est frappant de constater combien les jeunes élaborent des choix, à partir de représentations plus ou moins précises des avenirs possibles. Trois dimensions structurent le discours des jeunes sur leur parcours dans l’enseignement professionnel : la critique de la forme scolaire académique et l’expérience d’une autre forme de rapport au savoir à travers l’enseignement professionnel ; la stratégie du détour, permettant de concilier aspirations aux études supérieures et faible performance scolaire ; la construction d’une légitimité de la formation professionnelle, définie à partir des dimensions pratiques et finalisées (orientées par un projet professionnel).

Mais les entretiens conduits avec les bacheliers qui poursuivent leurs études en BTS montrent aussi que ces jeunes, dotés de ressources inégales selon leur situation familiale dans une société hiérarchisée, se saisissent plus ou moins aisément des opportunités offertes par le nouveau cadre institutionnel. Pour les mieux dotés d’entre eux, la réussite au baccalauréat interrompt la spirale d’échec ou de renoncement qui avait souvent marqué leur scolarité antérieure au lycée et leur permet de développer et de mobiliser des compétences nouvelles, et de les transformer en ressources mobilisables dans les cursus de formation professionnelle après le baccalauréat. Mais pour les élèves moins bien dotés en termes de capital économique et informationnel, le BTS peut constituer un parcours d’obstacle où le niveau scolaire et les habitudes de travail héritées du parcours antérieur se transforment en handicaps difficiles à surmonter. Néanmoins, les entretiens semblent en définitive indiquer à ce sujet que la réussite au baccalauréat constitue pour ces jeunes une assurance minimum qu’ils espèrent valoriser, même en cas d’échec dans une formation supérieure, grâce au supplément d’expérience professionnelle qu’ils ont acquis au cours des nombreux stages effectués.


« “Cherche jeune diplômé ayant de la personnalité”. Le recrutement des jeunes dans les entreprises : une sélection qui mobilise des critères plus ou moins légitimes… » – EPIPHANE Dominique, CEREQ

Lorsque les recruteurs sont interrogés sur les politiques en faveur de la diversité, de l’égalité, des C.V. anonymes…, les propos qu’ils tiennent sur les discriminations que pourraient subir les jeunes qui se présentent à un poste dans leur entreprise sont très édulcorés. Qu’il s’agisse de l’origine des candidats (étrangères), de leur lieu de résidence (quartiers « sensibles »), de leur sexe, de leur âge, voire de leur éventuel handicap… rien ne paraît faire obstacle à leur embauche potentielle. Tout semble au contraire se passer comme si les jeunes, quelles que soient leurs caractéristiques individuelles, avaient tous les mêmes chances lors des différentes phases de recrutement. Pourtant, dès lors qu’ils relatent leurs pratiques effectives d’embauche, notamment en explicitant les critères de sélection qu’ils ont mobilisés, lors de leur dernier recrutement, pour « trier » les candidats, la réalité est tout autre… Cette communication vise à montrer la distance, parfois abyssale, entre le discours des recruteurs concernant la discrimination à l’embauche et leurs pratiques de recrutement. Aux propos très « politiquement corrects », concernant le sexe des candidats, leur couleur de peau, leur quartier de résidence, leur âge, etc. et aux discours très positifs sur la lutte contre les discriminations dans notre société en général et sur le marché du travail en particulier, viennent se confronter une série de témoignages sur des pratiques effectives de recrutement parfois discriminatoires dès lors que ces recruteurs décrivent dans le détail les critères qui président à leur choix.

Lors d’un recrutement, malgré l’existence de profils de poste relativement précis, le jugement du recruteur n’est pas une opération mécanique : « Le recruteur est un sélectionneur. Son problème n’est pas forcément d’être juste à l’égard de chaque candidat : en période de pléthore de candidatures, il peut par exemple se contenter d’éliminer sur des critères très simples un grand nombre de candidats, pour focaliser son jugement sur quelques-uns » (Eymard-Duvernay et Marchal 1997, p. 26). Lorsqu’ils explicitent les critères de choix qui ont présidé à la sélection des candidats, il s’avère que les frontières entre critères légitimes et illégitimes peuvent être poreuses. Les recruteurs ont tendance à justifier leurs choix par des arguments qui leur paraissent totalement légitimes bien qu’ils soient, en réalité, fondés sur des stéréotypes. Ceux-ci – négatifs ou positifs – peuvent stigmatiser « la » jeunesse (« peu investie dans la sphère professionnelle »), les jeunes des quartiers défavorisés (« qui veulent s’en sortir à tout prix »), les handicapés (forcément « en fauteuil roulant »), les séniors (expérimentés mais « peu enclins à changer leur façon de travailler »), les jeunes hommes (souvent « brusques mais fonceurs ») et les femmes (« moins disponibles mais mieux organisées »)…

Nous nous proposons de montrer, à l’issue de cette analyse des différents critères pris en compte par les employeurs lors du tri des CV et à l’occasion de l’entretien de recrutement, que l’embauche n’est pas seulement un élément déterminant de l’accès à une entreprise mais qu’elle est aussi un processus où se disent et où se mettent en œuvre les principes de la discrimination sociale face à l’emploi (Dubernet, 1996). Lors des entretiens avec les recruteurs, on a pu voir à quel point les frontières entre ce qui relève des critères « objectifs » et des critères plus « subjectifs » sont souvent floues. Le diplôme est un titre censé mesurer un niveau de compétences, de savoir-faire, mais le diplôme est également lu comme un signe d’appartenance à un groupe social, ou à un groupe d’âge (et donc associé à un manque potentiel de maturité). La disponibilité horaire, critère souvent cité comme indispensable est l’occasion parfois d’écarter les candidatures des personnes qu’on ne « sentirait » pas disponibles à 100% (en l’occurrence souvent des jeunes mères de famille voire même des jeunes femmes sans enfant mais mères de famille potentielles, à court ou moyen terme). L’« adaptabilité » à l’entreprise et à ses méthodes de travail semble un critère dont les séniors semblent, plus que les jeunes, être dépourvus. Le management « en douceur » et la « capacité d’organisation » seraient l’apanage des femmes, tandis que la « volonté de s’en sortir » celui des jeunes issus des quartiers difficiles. Une bonne présentation, élocution voire même un solide réseau relationnel au sein des cadres supérieurs est apprécié dans certains cas…

Cette communication s’appuiera sur un des volets de l’étude EVADE (Entrée dans la Vie Active et Discrimination à l’Embauche) menée au Céreq cadre des projets du Fonds d’Expérimentation à la Jeunesse (FEJ). Un des objectifs principaux de cette étude était de contextualiser une mesure de la discrimination à l’embauche, à partir d’une méthodologie de testing, dans le cadre d’une observation globale des processus de recrutement et de recherche d’emploi. Le volet de cette étude qui sera ici mobilisé repose sur une trentaine d’entretiens semi-directifs réalisés auprès d’employeurs de la région PACA, potentiellement recruteurs de jeunes diplômés de Brevet de Technicien Supérieur. Ils appartenaient à des petites, moyennes ou grandes entreprises. Les secteurs d’activités ont été choisis pour être aussi divers que possible (agroalimentaire, nettoyage industriel, énergie, grande distribution, assurance finance, aéronautique…) Les recruteurs interviewés, de par leur fonction, intervenaient directement dans le processus de recrutement de leur entreprise et de façon plus ou moins autonome. En effet, pour plusieurs cas, le service Ressources Humaines gérait le tri des CV et l’opérationnel prononçait le choix final. Dans certaines entreprises, nous avons interviewé plusieurs personnes qui intervenaient dans le processus de recrutement (par exemple : le DRH et le Directeur d’unité). Lors des entretiens, une description détaillée des pratiques de recrutements était demandée, de la définition du besoin de main-d’œuvre aux modalités de sélection des candidats. Dans la majorité des cas, nous nous sommes appuyés sur les derniers recrutements effectués par l’entreprise afin de s’intéresser aux étapes réalisées en amont de ce recrutement, aux canaux utilisés, aux candidatures reçues pour ce poste et à la sélection des candidats et aux candidats effectivement recrutés.


« L’influence de la relation à la famille sur l’aspiration à la mobilité professionnelle de jeunes scolarisés en lycée professionnel » – THALINEAU Alain, HOT Florian, Université de Tours, CITERES

Dans le cadre du discours officiel sur la « flexisécurité » (Greff, 2009), deux éléments sont avancés par les pouvoirs publics pour expliquer les freins légitimes à la mobilité : d’une part, le fait d’être propriétaire de son logement et, d’autre part, le fait d’être en couple et avoir des enfants. Dès lors, il devient normal qu’un jeune soit mobile. Face à cette emprise normative présente dans l’accompagnement des jeunes vers l’emploi (Thalineau, Muniglia, 2012), les personnes concernées ne sont pas nécessairement désireuses de s’y plier. Cette réticence à la mobilité constitue une mise à distance vis-à-vis de la norme « emploi » en vigueur aujourd’hui : l’aspiration à vouloir occuper un emploi à temps plein et en CDI se voit limitée par le refus de mobilité.

Dans le cadre d’une recherche en cours , nous nous sommes ainsi interrogés sur la posture d’élèves en formation secondaire vis-à-vis de la mobilité pour l’emploi, c’est-à-dire en amont de leur entrée sur le marché du travail. Les données recueillies indiquent sans surprise que la plupart d’entre eux aspirent à trouver un emploi stable à temps plein après leur formation secondaire ou après une formation courte post-baccalauréat. Cependant, certains lycéens redoutent la mobilité résidentielle supposée par l’insertion professionnelle. Ils sont moins enclins à se plier à l’injonction normative qui consiste à devoir accepter d’être mobile pour accéder à l’emploi. Même si la majorité d’entre eux souhaite obtenir un emploi à temps plein, celui-ci n’est donc pas souhaité à « n’importe quel prix ».

Lors de cette communication, nous montrerons en quoi la forme des relations familiales influe sur la façon de penser le territoire et par-delà d’envisager une mobilité professionnelle dans l’avenir. L’analyse approfondie des matériaux quantitatifs et qualitatifs produits pour cette recherche nous a permis de repérer les différentes manières dont les jeunes se situent vis-à-vis du groupe familial. Par l’approche quantitative, nous avons repéré qu’une relation étroite à la famille est corrélée à une délimitation des territoires habités à proximité du noyau familial, tant dans les représentations (attachement aux lieux) que dans les pratiques (sociabilités). Cette centration a alors tendance à limiter les aspirations à la mobilité, notamment celles liées à l’insertion professionnelle. Inversement, une plus grande autonomie du jeune vis-à-vis du groupe familial accentue sa propension à être mobile et par conséquent à envisager positivement une mobilité pour l’emploi. Ces différentes propensions à la mobilité professionnelle sont corrélées au capital scolaire des parents et à la structure familiale.

L’approche qualitative complète cette analyse en mettant en évidence, d’une part, les relations ,qui varient notamment selon le genre, entre la façon dont les jeunes se situent au sein des différents espaces habités et le sens subjectif qu’ils donnent aux relations parents-enfants. D’autre part, elle permet de dégager l’impact des rapports à la norme emploi et à la norme scolaire véhiculés au sein du groupe familial sur le positionnement vis-à-vis d’une mobilité pour l’emploi. . L’analyse du discours d’une soixantaine de jeune a permis de saisir en quoi l’aspiration à une mobilité professionnelle dans l’avenir est moindre lorsque la relation jeune-famille est vécue comme une contrainte obligée, même si les normes emploi et scolaire sont fortement intégrées.


« Regards croisés sur des jeunes en formations techniques. La part du genre » – LEMARCHANT Clotilde, Université de Caen, Centre Maurice Halbwachs

Plusieurs auteurs regrettent que l’histoire et la situation actuelle de l’enseignement technique sous l’angle sexué soient mal connues, « un chantier » « toujours déserté » ou même « saugrenu » . On sait toutefois, grâce aux données du Ministère de l’éducation nationale ou du Céreq et aux travaux de recherche sur le sujet (C. Marry, N. Mosconi, T. Couppié, D. Epiphane, G. Moreau), que les formations techniques et notamment les formations techniques courtes (de niveau IV et V c’est-à-dire CAP, BEP, Bac professionnel ou bac technologique) restent très marquées par des choix d’orientation scolaire sexués.Le secrétariat attire les filles à 97% et l’électricité les garçons dans les mêmes proportions. La stabilité de ces chiffres très contrastés, décennies après décennies, interroge : la mixité dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire publics est une obligation juridique depuis la loi de 1975 et les décrets d’application de 1976, mais, en matière de formation technique, il semble que les normes et les usages contredisent le droit.

On se propose ici d’approcher la question des résistances à la mixité dans ces nombreuses formations – et donc dans les métiers auxquels elles préparent – en s’intéressant à celles et ceux qui inversent les tendances : ces jeunes filles et jeunes gens atypiques car minoritaires en tant que garçon ou fille dans leur classe ou sur leur lieu de stage. Quelle est la source des motivations des garçons en secrétariat ou mode, des filles en électricité ou mécanique, à faire ces choix d’orientation scolaire innovants ? Ces choix seront-ils pérennes ? Comment ces jeunes sont-ils, sont-elles accueilli-e-s dans leur milieu scolaire mais aussi professionnel ? Quels regards portent sur ces jeunes les adultes les côtoyant : responsables d’établissement, infirmières, enseignants et formateurs des lycées et CFA mais aussi employeurs ? Une série d’enquêtes quantitatives et qualitatives, menées en lycées publics et en CFA (centres de formation d’apprentis) en Basse et Haute-Normandie auprès d’élèves et apprenti-e-s atypiques, a permis de recueillir directement les avis des jeunes concernés. Une autre série d’enquêtes a été menée auprès d’enseignant-e-s ou formateurs/trices, infirmières, proviseurs, COP, CPE, chef de travaux mais aussi d’employeurs… afin de connaître leur point de vue sur ces jeunes minoritaires en tant que garçons ou filles, leur rôle face à ces jeunes et enfin leur avis concernant les politiques et dispositifs existants visant à promouvoir la mixité et le respect mutuel entre filles et garçons durant le temps de la formation.Un cadrage national est également réalisé grace au traitement secondaire des données du panel d’élèves de la DEPP et des enquêtes « Génération » du Cereq.


« L’entrée dans la vie adulte : une analyse par trajectoires types » – GERMAIN Valérie, LEST

L’allongement des études a largement contribué aux transformations des modes d’entrée dans la vie adulte. Ainsi les études supérieures ont été avancées comme contribuant à retarder le moment du départ de chez les parents ainsi que celui de l’entrée dans la vie active (Galland, 1990). Qui plus est, l’entrée dans la vie professionnelle et dans la vie familiale semblent être partiellement déconnectées (Galland, 2001). L’objectif de cette contribution est alors précisément de s’intéresser à la manière dont les études s’articulent avec les différentes transitions d’entrée dans la vie adulte, telles la décohabitation ou la mise en couple. Comment ces différentes transitions que sont le départ de chez les parents, la mise en couple, ou encore l’insertion sur le marché du travail se combinent-elles ? Le moment où se réalise la décohabitation est-il lié à la durée des études ? Pour les jeunes qui ont suivi des études supérieures, la mise en couple intervient-elle nécessairement après l’insertion professionnelle ?

L’entrée dans la vie adulte, en se basant sur des données longitudinales, est alors analysée comme un processus, permettant ainsi de dépasser une analyse en termes de seuils. Les données sur lesquelles s’appuie ce travail sont celles du panel DEP 1989. Ces dernières retracent le parcours scolaire des jeunes, tout en prenant en compte l’environnement familial dans lequel ils évoluent. Pour les cinq années après le baccalauréat, nous disposons pour chacun des jeunes d’informations sur leur situation résidentielle, conjugale, scolaire et professionnelle année par année. Grâce à ces données longitudinales on peut alors « repérer les changements des différents facteurs, ainsi que l’évolution de chacun dans l’ensemble du processus » (Longo, 2011, p. 71). A partir des données DEP, l’objectif est de montrer, en identifiant différentes phases, comment évoluent des séquences d’évènement sur les cinq années post bac pour les jeunes s’engageant dans les études supérieures. Afin de mettre en évidence les principales trajectoires types de l’entrée dans la vie adulte, nous proposons une analyse par trajectoire type à partir de la méthode de l’Optimal Matching.