Comme son intitulé l’indique, l’axe 3 du projet du GRESCO pour la période 2018-2022 s’inscrit à la fois dans une certaine continuité par rapport à l’axe 2 (« Professionnalisation, expertises et réformes : sociologie des catégories et des classements ») du programme antérieur mais aussi en rupture avec celui-ci dans la mesure où il s’oriente vers d’autres questionnements. Continuité en ce que le nouvel axe 3 reprend et prolonge des recherches, notamment celles qui portaient sur des groupes professionnels émergents et les recompositions de l’espace social qui en résultent ; rupture en ce que l’accent est mis davantage sur le travail et les groupes sociaux qui se constituent dans et par l’activité de travail ou du fait des conditions d’accès à l’emploi. La vigilance face à l’usage des catégories descriptives mises en œuvre ou le maniement des classements produits par l’analyse n’en persiste pas moins, dans un souci constant de rapporter les unes et les autres aux circonstances historiques et sociales de leur élaboration par le sociologue ou de leur construction dans le cours des interactions entre groupes sociaux voisins ou concurrents.

Les projets de cet axe de recherche entendent prendre en compte deux types de transformations sociales contemporaines : celles qui ont affecté la structure sociale, tant par l’effet des représentations que la société se fait d’elle-même que par les concurrences entre groupes sociaux, et celles qui ont bouleversé les conditions de travail et d’emploi, tant par l’effet de la multiplication des formes d’emploi dérogatoires à l’emploi sur contrat à durée indéterminée que par les difficultés d’accès à l’emploi. Commençons par celles-ci.

La conjugaison d’un sous-emploi chronique et d’un chômage de masse à un étiage élevé depuis 40 ans en France, dans un contexte global d’emprise croissante du capitalisme financier sur les systèmes productifs et leur mondialisation, a considérablement modifié les conditions d’exercice de l’activité laborieuse, les formes du rapport au travail et à l’emploi, les rapports sociaux au travail et, par voie de conséquence, les rapports sociaux en général. Ces changements structurels incitent à renouveler les questionnements sur l’activité de travail aujourd’hui et sur les effets des évolutions des conditions d’emploi sur la structure sociale de nos sociétés contemporaines. Il est notoire en particulier que le travail contemporain s’effectue de moins en moins souvent dans le cadre de la relation d’emploi telle que l’avait façonnée le compromis salarial des « Trente glorieuses », mais au sein de nouvelles configurations organisationnelles produites par des formes variées d’externalisation (recours à la sous-traitance, au travail en intérim ou au travail indépendant) qui transforment les rapports sociaux de travail et d’emploi, en particulier les salariés d’exécution, au premier rang desquels les ouvriers qui sont à l’intersection de plusieurs projets de recherche de cet axe.

Désormais numériquement devancés par les employés dans la société française, invisibilisés dans le discours managérial, dans l’espace public, tout comme dans certains écrits scientifiques annonçant « un travail physique et manuel en voie de disparition », les ouvriers d’« après la classe ouvrière » n’en continuent pas moins de constituer la base du système productif tout en subissant de plein fouet les mutations contemporaines du travail et de l’emploi dans une société de « plein chômage » : restructurations industrielles, délocalisations vers des pays à faible coût de main-d’œuvre, diffusion de nouveaux principes d’organisation du travail (flux tendus, flexibilité externe, etc.). La classe ouvrière, incontournable sur la scène sociale sinon politique pendant les « Trente glorieuses », a progressivement perdu de sa visibilité en même temps que s’affirmaient une classe dite moyenne et, plus récemment, celles que l’on désigne de plus en plus souvent par l’expression « classes populaires ». À une représentation duale de la société, structurée par l’opposition entre deux classes posées comme antagoniques, s’est peu à peu substituée une représentation ternaire de la société qui l’ordonne en trois classes distribuées selon un ordre hiérarchique : les classes supérieures, les classes intermédiaires et les classes populaires. Si les deux premières paraissent jouir encore de conditions de travail et d’emploi relativement préservées, les troisièmes éprouvent de plein fouet les évolutions qui ont bouleversé les conditions de travail et d’emploi.

Dans ce contexte, les conflits tendent à se déplacer et à reconfigurer constamment les distributions entre « eux et nous ». Peut-on parler d’un retour des classes sociales, classes entendues en ce qu’elles se constituent précisément dans la lutte qu’elles mènent contre d’autres catégories sociales ? Au sein de ces classes sociales elles-mêmes, des groupes se structurent autour d’activités spécifiques, que ce soit dans ou hors du cadre des activités libérales. À cet endroit revient alors la question des modalités nouvelles d’accès à l’activité suscitées par la promotion, par exemple, de l’auto-entreprise ou d’autres formes d’engagement dans l’activité à la périphérie du salariat ou en substitution au salariat lui-même.

Les projets de recherche qui constituent cet axe s’inscrivent dans le cadre des questionnements que nous venons d’évoquer et plus particulièrement dans les perspectives suivantes : analyser les conflictualités dans l’espace social et ses reconfigurations ; appréhender le travail au travers des nouvelles modalités d’accès à l’emploi ; cerner les dynamiques professionnelles dans le monde de l’éducation. Ces projets sont présentés de façon plus détaillée dans le document présenté sous ce lien.