Argumentaire

La présence de populations migrantes dans les sociétés modernes, les sociétés occidentales en particulier, ne cesse d’interroger : la cohabitation entre « migrants » et « établis » ne va pas toujours de soi et peut donner lieu à des formes diverses de violence, que celles-ci restent cantonnées dans le registre symbolique (humiliations, discriminations, etc.) ou qu’elle se traduise par des violences physiques (ratonades, comportements racistes, etc.). Au-delà de tels événements se posent des questions autour des motifs de l’arrivée ou de l’installation de populations migrantes, des conditions de leur accueil et de leur intégration, de l’hostilité à laquelle elles doivent faire face, des enjeux économiques ou démographiques sous-jacents ou, plus largement, des conditions de la « mobilisation » (J-P. De Gaudemar, La mobilisation générale, 1979) de la main d’œuvre.

Dans la mesure où la sociologie s’intéresse aux interactions entre les individus dans l’espace social et, tout particulièrement, à la relation à l’autre (D. Schnapper, La relation à l’autre. Au cœur de la pensée sociologique, 1998), dans la mesure où elle s’attache à analyser les
relations entre groupes sociaux et les phénomènes de domination (renvoyons, globalement, aux travaux de Pierre Bourdieu, plus particulièrement à La Distinction. Critique sociale du jugement, 1979), elle est directement concernée par les modalités de rencontre et de
cohabitation entre populations migrantes et populations établies. Elle ne saurait pour autant prétendre à une quelconque exclusive tant il est vrai que la description et la compréhension des phénomènes migratoires ne saurait ignorer les enjeux économiques qui les provoquent, les favorisent ou les contrarient. Les apports de l’économie s’avèrent donc indispensables mais aussi ceux de l’historien et plus généralement de l’anthropologue ou du philosophe, du psychologue ou du linguiste ou encore du géographe. L’abondance de la littérature qui a
exploré et continue d’explorer les situations créées par les migrations et la coexistence de population diverses appelle à convoquer aussi les spécialistes des études littéraires.

Convocations multiples donc, pour aborder un objet et des situations circonstanciées, telles qu’elles apparaissent aujourd’hui. Les flux migratoires internationaux ont crû rapidement au fur et à mesure de la globalisation de l’économie mondiale. Les Nations Unies estimaient ainsi à près de 200 millions le nombre des migrants dans le monde en 2005 contre 75 millions seulement en 1965 et 115 millions en 1990, ces chiffres témoignant d’une vive accélération du processus à la fin de la période considérée. Cette progression s’est toutefois ralentie depuis mais les flux de migrants internationaux à l’échelle mondiale représentent toujours environ 3,3% de la population mondiale et leur volume s’établissait à 230 millions de migrants en 2010. Malgré les risques encourus par une grande part d’entre eux – très clairement : risques pour leur vie – et les mesures sélectives adoptées par nombre de pays de destination, les migrations internationales n’en constituent pas moins un phénomène toujours actuel. Évoquant les mouvements migratoires en direction de l’Europe, Catherine Wihtol de Wenden notait, en 2007 : « Depuis plus de dix ans, les images télévisuelles donnent à voir des clandestins venus d’Albanie, du Moyen Orient, de Chine, d’Afrique sub-saharienne débarquant sur les côtes d’Europe du sud ou entassés dans des containers avec pour destination un pays
européen. Au cours de ces dernières années, l’Europe, qui peine à contrôler ses frontières et tente d’associer à cette tâche ses voisins du sud, est devenue l’une des plus grandes régions d’immigration du monde. Mais elle tarde à se reconnaitre comme telle car elle a
longtemps considéré l’immigration comme un phénomène provisoire, et qu’elle a ensuite donné la priorité à la sécurité sur les besoins de main d’œuvre et d’inclusion sociale sans prendre en compte le vieillissement de sa population. » (Contribution au Forum Migrations de la Fédération internationale des droits de l’homme, Lisbonne, 19-21 avril 2007) Si
l’Europe apparaît ainsi comme une destination fréquente pour des migrants venus d’autres continents, il convient de ne pas négliger les mouvements migratoires en son sein, liés à la présence de populations traditionnellement nomades ou aux mouvements de population venant des pays de l’Est européen vers les pays plus riches, à l’Ouest ou au Nord, voire les migrations d’individus qui décident de quitter l’Europe ou de s’en éloigner provisoirement pour tenter leur chance ailleurs.
Les jeunes prennent une part considérable dans ces migrations. Les images de télévision montrent le plus souvent des hommes, des femmes quelquefois, généralement jeunes. La plupart des migrants réfugiés dans la zone de Calais étaient jeunes… Mentionnons en outre
les migrations des très jeunes que des raisons souvent dramatiques – guerres, misères familiales, etc. – amènent à quitter leur pays d’origine pour tenter leur chance dans un pays européen. Ces jeunes, particulièrement vulnérables, se confrontent à des difficultés spécifiques d’intégration, depuis l’accès à la formation initiale et l’acquisition d’une
qualification professionnelle à leur intégration ultérieure dans la vie économique en passant par leur prise en charge jusqu’à l’âge de leur majorité. Il faut, enfin, évoquer les migrations liées à la mobilité des étudiants, venus des pays du sud et pour lesquels la question du
retour dans leur pays d’origine se pose souvent à l’issue de leur cursus universitaire.

Si l’attention porte ici davantage sur les jeunes engagés dans des expériences migratoires, il s’agira d’aborder trois aspects primordiaux : les flux migratoires, la forme des migrations et les politiques des états. Considérant plus précisément…
– …des flux migratoires : il s’agira de cerner les flux migratoires actuels d’un point de vue quantitatif, d’en proposer une description précise et d’en rechercher les raisons afin de circonscrire la place qu’y occupent les plus jeunes.
– …de la forme des migrations : il s’agira non seulement de décrire les itinéraires de migrants mais, plus encore, de comprendre leurs parcours à travers les propos recueillis auprès des migrants, les récits de leurs expériences migratoires ou grâce à tout autre moyen permettant d’en approcher la dimension subjective. La question de la transformation des processus migratoires – migration définitive ou provisoire – devra notamment être interrogée.
– …des politiques des états : si les politiques des états – dont les migrants sont issus ou ceux vers lesquels ils se dirigent – constituent un aspect essentiel de l’analyse des phénomènes migratoires, il s’agira avant tout de mettre dimension et forme du processus migratoire en relation avec le caractère restrictif ou, au contraire, favorable de ces politiques.

Pourront ainsi être abordés les aspects les plus divers, qu’il s’agisse de migrations liées au travail, aux disparités des situations économiques, aux conditions sociales et politiques dans les pays d’origine comme dans les pays d’accueil, à la poursuite d’études ou à d’autres facteurs. Pourront également être abordés les aspects liés aux « secondes générations », c’est-à-dire à la situation des jeunes « issus de l’immigration », selon l’expression en cours.

Si la question des migrations constitue le thème central des 7èmes rencontres, elles seront aussi l’occasion de réunir un certain nombre d’ateliers consacrés à des thématiques récurrentes des rencontres depuis leur création. C’est ainsi que des communications pourront être présentées sur les questions suivantes :
– insertion sociale et professionnelle des jeunes ;
– les jeunes et le travail ;
– les jeunes et la question du genre ;
– approches longitudinales (récits de vie et trajectoires).