Beddiar N., Cler I., Croizet L., Millet M., Ménigot L., Teillet G., Veaudor M. (avril 2025), Les « doubles suivis » comme situations frontières. Pratiques professionnelles et différenciations sociales des jeunes suivis par l’ASE et la PJJ, rapport de recherche pour le compte de la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (DPJJ, appel « Trajectoires » (2021-2024), SEREV-DPJJ, GRESCO UR15075, Université de Poitiers, 174 pages.

Résumé

Ce rapport de recherche rend compte des résultats d’une enquête conduite deux ans durant sur les jeunes doublement suivis, c’est-à-dire pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), au titre de l’enfance en danger, et par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), au titre de l’enfance délinquante. Elle fait suite à l’appel à projets « Trajectoires » lancé par la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse en 2021 sur la question de « l’analyse des parcours de jeunes faisant l’objet d’un double suivi ». Le cahier des charges de cet appel portait sur la compréhension de ces situations et de ce qui les engendre, et sur les effets sur les parcours des jeunes de ces prises en charge.

Le rapport s’organise en quatre grandes parties. Un premier chapitre propose un « essai de construction d’objet » des « doubles suivis », étant entendu qu’il s’agit là d’un phénomène institutionnel sociologiquement indéterminé. Il s’agit ainsi d’en proposer une première formulation sociologique autour du cadrage sociohistorique de ce phénomène, et de l’exposé de nos délibérations méthodologiques. Un second chapitre s’intéresse aux ancrages sociaux et institutionnels qui contribuent à la genèse de ces parcours de « double suivi ». Il s’agit de mieux saisir les conditions sociales de possibilité de ces situations et les configurations agissantes qui sont à l’origine des premiers classements, des logiques initiales d’assignation, déterminant des différenciations primaires. Un troisième chapitre s’intéresse plus particulièrement aux mécanismes institutionnels qui constituent en quelque sorte l’espace des prises en charge, pour l’essentiel pénales. Il s’agit de saisir les configurations institutionnelles qui prennent forme dans les marges de l’action publique, c’est-à-dire dans les points de contact entre diverses institutions en charge du suivi judiciaire, social, médico-social, scolaire comme du soin ou du handicap. L’idée est de montrer comment l’articulation d’une diversité de professionnels contribue à la fabrique des parcours et à leur différenciation. Un dernier chapitre s’intéresse enfin aux sorties des filières pénales et aux affiliations nouvelles qui surviennent au moment de la majorité.

Sommaire

CHAPITRE 1. Les « doubles suivis » : essai de construction d’objet

1 En quête des « doubles suivis »…

  • 1.1 Le halo des suivis multiples et la difficile délimitation de l’objet
  • 1.2 Un dispositif d’enquête hybride
  • 1.3 Présentation des jeunes multisuivis : une mosaïque de cas
  • 1.4 Des situations difficiles à dénombrer ?

2 Les « doubles suivis », une problématique institutionnelle de frontières

  • 2.1 La différenciation progressive des prises en charge judiciaires de l’enfance
  • 2.2 Reconfigurations du traitement institutionnel de la difficulté scolaire et porosité des frontières dans les modes d’intervention institutionnels
  • 2.3 Les formulations concomitantes et concurrentes de problèmes de prises en charge dans les secteurs de l’enfance judiciarisée
  • 2.4 Les « MNA au pénal », objets de luttes de qualification d’un problème à part

3 Le terrain d’enquête à l’épreuve de formulations concurrentes des problèmes de suivis multiples

CHAPITRE 2. La genèse d’enfances « difficiles »

1 Des configurations sociales d’origine au principe de primes différenciations

  • 1.1 Des compositions variées du foyer d’origine qui fragilisent la mobilisation des ressources face aux difficultés
  • 1.2 Une fragilisation des conditions d’existence familiales d’antériorité et d’ampleur différenciées

2 Des conditions matérielles d’existence aux scolarités de relégation

  • 2.1 Des contextes de vie peu favorables à la construction de dispositions scolaires
  • 2.2 Difficultés précoces et parcours scolaires morcelés

3 Des sociabilités juvéniles dans un mélange des âges comme remparts symboliques et contraintes

  • 3.1 Les pairs face à — et parfois contre – la famille et l’école
  • 3.2 Grandir sous la coupe des plus grands

4 Des foyers en tensions aux possibilités de régulation amoindries

  • 4.1 Les ressorts sociaux des tensions familiales
  • 4.2 La régulation des conduites enfantines mise à mal et l’émergence de sentiments de rejet et de regret

5 Identifier les « anormalités d’institution » familiales et scolaires

  • 5.1 Dénoncer et identifier les « anormalités d’institution » familiales : une coproduction des signalements entre familles et institutions
  • 5.2 La composante familiale du processus de différenciation primaire
  • 5.3 La part scolaire du processus de différenciation primaire

6 Quand les placements civils préfigurent le basculement vers le pénal

  • 6.1 Des parcours longs en protection de l’enfance vecteurs de repérage institutionnel
  • 6.2 Des situations perçues comme problématiques à l’origine d’un traitement différencié avant toute intervention pénale : le cas d’Imed
  • 6.3 Les heurts des quotidiens de placement pénal comme préassignations à la délinquance

CHAPITRE 3 — La différenciation pénale des situations « problématiques »

1 Des suivis multiples tributaires d’effets d’offres institutionnelles locales sous tensions

  • 1.1 Composer au quotidien avec la pénurie des moyens en protection de l’enfance
  • 1.2 Les « effets d’offre » en matière pénale
  • 1.3 Des degrés d’institutionnalisation variables : l’exemple des procédures dérogatoires dédiées aux MNA

2 Des situations qui apparaissent comme « problématiques » pour les institutions pénales

  • 2.1 Les premiers niveaux de prise en charge pénale jugés rapidement inadaptés
  • 2.2.La médico-psychologisation de certaines des situations jugées problématiques
  • 2.3 Le recours à l’enfermement

3 La différenciation du traitement pénal des jeunes aux « vulnérabilités multiples »

  • 3.1 Des formes multiples de collaboration avec l’ASE
  • 3.2 Les effets ambivalents du handicap sur le traitement pénal

CHAPITRE 4 — Des affiliations nouvelles et incertaines autour de la majorité

1. Des jeunes souvent exclu·es des logiques protectionnelles

  • 1.1   Trois configurations d’orientation civile non réalisée
  • 1.2 Pierre, un rare cas d’éligibilité à la protection
  • 1.3 Une protection très sélective

2. Sortir du cadre de l’intervention pénale par le handicap, une affiliation incertaine

  • 2.1    Une reconfiguration du travail sociojudiciaire autour du handicap
  • 2.2 Des freins liés à l’acceptation du handicap par les jeunes
  • 2.3 Une orientation investie par les familles
  • 2.4 Des destinées socialement différenciées et leurs conditions de possibilité

Conclusion

Bibliographie

Glossaire

  • Annexe 1 : Tableau des propriétés sociales des cas enquêtés
  • Annexe 2 : Tableau des différents suivis
  • Annexe 3 : Portraits sociologiques : quatre trajectoires différenciées de jeunesses populaires au gré des suivis multiples
  • 1 Justine : la prison comme horizon socialisateur
  • 2 Michel : de l’étiolement des suivis à une intégration à la société salariale par ses marges
  • 3 Aymeric : une copine qui fait rentrer dans le rang
  • 4 Corinne : le « handicap » pour gagner son autonomie