Hélène OEhmichen, L’appropriation des enfants. Enquête sur le placement familial en France, Thèse de doctorat de sociologie, Ehess, novembre 2024

Discutante : Fanny Renard

Résumé : 

Cette thèse traite de l’appropriation des enfants par leurs parents, à travers l’étude du placement judiciaire des mineur·es, et plus particulièrement du placement en famille d’accueil. Le placement y est pensé comme un cas limite, où les catégories instituées de « parent » et « d’enfant » perdent leur apparence d’évidence, de naturel et d’universel. Cela permet d’interroger, au-delà de la filiation juridique et du partage du quotidien, la genèse sociale du rapport parent-enfant, ainsi que les légitimités qui lui sont associées. Quatre régimes d’appropriation des enfants (privé, familial, public, commun) sont distingués, et deux sont particulièrement discutés et mis en tension : l’appropriation privée d’une part, quand un·e adulte tire profit du travail ou du corps d’un·e enfant et s’inscrit dans un rapport de pouvoir, et l’appropriation familiale d’autre part, qui intègre l’enfant à un groupe plutôt qu’à un autre, et l’investit comme un·e héritier·e porteur·se du statut social d’une lignée. Le propos s’appuie sur
une enquête statistique et ethnographique menée dans un département de l’ouest de la France. L’enquête permet d’abord d’établir la distribution institutionnelle des droits à investir dans des enfants en déployant des stratégies familiales de reproduction, et des droits à les dominer. Il y est montré que, du fait de conditions sociohistoriques précises, de grilles de lecture socialement situées des agent·es de l’État et d’un fonctionnement organisationnel dans lequel les institutions
médico-administratives occupent une place primordiale, le placement s’inscrit dans une politique de prise en charge des enfants résolument familialiste. Il ne vise pas à rompre le lien de parenté, mais à le normaliser ; les parents concernés sont d’abord ceux accusés de ne pas investir suffisamment dans leurs enfants. Par conséquent, le placement concerne prioritairement les fractions précaires des classes populaires, et incrimine principalement les mères et les parents porteurs d’une identification d’invalidité. Qui plus est, aucun investissement alternatif n’est proposé aux enfants placé·es, dont seule la prise en charge quotidienne est assurée. Le propos se centre ensuite sur les conditions sociales nécessaires à l’établissement et au maintien d’un tel lien de parenté, entre enfants placé·es et parents d’origine, mais également entre enfants placé·es et famille d’accueil. Il restitue l’aspect interactionnel de la construction des statuts d’enfant et de parent, en montrant l’importance de la légitimité accordée ou non par les enfants aux adultes qui cherchent à les socialiser et/ou à les dominer. Il en restitue également l’aspect processuel, et non systématique : quand le placement se prolonge, certains parents d’origine
perdent ce statut, et certaines familles d’accueil intègrent malgré tout les enfants dans leur lignée, ou exploitent malgré tout leur travail et leur corps. Enfin, la thèse étudie la façon dont les enfants négocient le fait d’être ou non approprié·es, ainsi que les conséquences de l’appropriation – ou de son absence – sur leurs subjectivités et sur leur position dans l’espace social.