A propos

(Institut für Soziologie, Université de Bâle)

Quels apprentis peuvent bénéficier de la nouvelle maturité professionnelle en Suisse?

En 1994, un nouveau diplôme de la formation professionnelle a été introduite, la maturité professionnelle. En complément à une formation professionnelle de base (avec obtention du Certificat Fédéral de Capacité, CFC), la maturité professionnelle donne la possibilité d’accéder directement à une formation supérieure (tertiaire en Suisse). Jusqu’au milieu des années 2000, le nombre de maturités professionnelles a connu une forte progression (phase introductive). Par contre, depuis l’année 2005, le taux de maturités professionnelles obtenues par classe d’âge stagne à 20% des personnes diplômées avec un CFC (65% des diplômé-e-s en Suisse). En d’autres termes, seul un diplômé de la formation professionnelle sur cinq peut accéder à une formation en Haute Ecole Spécialisé (ou University of Applied Sciences).

La réduction des inégalités sociales d’accès à la formation supérieure n’a eu aucune considération lors du processus de réforme qui a introduit la maturité professionnelle au début des années 1990. Ce n’est que récemment que des chercheurs en éducation se sont posés la question de savoir si la maturité professionnelle a permis de réduire l’inégalité d’accès à la formation supérieure en fonction de l’origine sociale. En effet, les enfants de milieux scolairement plus éloignés sont surreprésentés dans la formation professionnelle, alors que ceux de milieux fortement scolarisés (« académiques ») sont, eux, surreprésentés en formation générale scolaire (« Gymnases »). La maturité professionnelle pourrait ainsi permettre aux enfants moins scolairement privilégiés d’avoir des chances accrues pour accéder à une formation supérieure, accroissant ainsi leurs capabilités (Amartya Sen).

En même temps, il est aussi concevable que la maturité professionnelle crée de nouvelles opportunités de distinction et de hiérarchisation au sein de la formation professionnelle qui accroissent les inégalités sociales (en référence à Pierre Bourdieu, La Distinction).

Notre contribution analyse l’accessibilité de la maturité professionnelle pour les jeunes de milieux moins priviligiés. Se pose ainsi la question dans quelle mesure la maturité professionnelle pourrait contribuer à une dévalorisation sociale de l’apprentissage traditionnel (CFC) et ainsi à la métamorphose de CFCs en « petits diplômes ».

La formation spécifique à la maturité professionnelle, subdivisée en six voies de spécialisation (technique, commerciale, artisanale, artistique, technico-agricole et santé-sociale) est en principe accessible à tout détenteur de CFC. Néanmoins, elle est très inégalement appréciée par les employeurs, selon les branches notamment. Le taux de maturités professionnelles varie ainsi fortement selon le niveau d’exigence scolaire de la profession apprise. Alors que par exemple 60% des électroniciens et 58% des diplômés d’écoles commerciales acquièrent une maturité professionnelle avec ou après leur CFC, il n’y en a que 5% chez les mécaniciens automobiles et 2% parmi les employées de la vente.

Les données de l’étude longitudinale TREE permettent pour la première fois en Suisse de comparer à partir d’un échantillon représentatif les diplômés de la seule formation professionnelle classique (CFC) avec ceux obtenant la maturité professionnelle, selon leur parcours scolaire, sexe, origine migratoire et origine sociale. Les données statistiques de la formation professionnelle permettent par ailleurs de déterminer les professions où les maturités professionnelles sont particulièrement souvent ou au contraire rarement obtenues.

Notre contribution s’appuie sur des méthodes statistiques afin d’analyser quelles catégories sociales ont un accès privilégié aux formations professionnelles avec une forte probabilité d’obtention de la maturité professionnelle (possibilité de qualification) et quelles catégories l’obtiennent en réalité (qualification réalisée). Ainsi nous pourrons indiquer qui peut potentiellement accéder à la formation supérieure par la formation professionnelle et à l’inverse qui sont les titulaires des « nouveaux petits diplômes » (formations professionnelles sans maturité) en Suisse.